Macroéconomie

L’indexation sans importance

d'Lëtzebuerger Land du 15.08.2014

L’indexation est sans importance sur l’évolution de l’indice des prix, à long terme, en Belgique et au Luxembourg, Comparée aux systèmes de négociations des salaires en Allemagne et en France il n’y a pas de différence en matière de formation des salaires sur la période 1970-2010.

C’est la conclusion de l’étude qu’une équipe de chercheurs de l’Université du Luxembourg vient de réaliser pour l’observatoire de la compétitivité du Statec. Cette conclusion découle d’un modèle Var de cointégration des variables retenues, à savoir la variation de l’indice des prix, le taux de chômage, la variation de la rémunération horaire et celles des termes de l’échange, ces derniers étant censés représenter la compétitivité des entreprises. Cette conclusion réfute celle de la Commission européenne, basée sur un système d’analyse par régressions multiples, qui veut que les pays à indexation connaissent une formation des salaires plus rigides, lisez à tendances inflationnistes, que les pays sans indexation.

Si nous voulons bien admettre le reproche qu’adressent les chercheurs luxembourgeois à l’étude présentée par la Commission européenne, nous aimerions rappeler que les analyses par cointégration s’adressent aux cycles longs et que les séries utilisées nous paraissent cependant un peu courtes. Par ailleurs, il nous semble que le modèle de cointégration n’est pas approprié pour expliquer les écarts de variation à court terme – sur une à trois années – entre la formation des salaires et celle de l’indice des prix qui entre en lice dans les deux systèmes de formation des salaires1. Enfin la question soit permise s’il faut vraiment construire un modèle qui satisfassent l’évolution des séries statistiques pour conclure du « coefficient d’indexation non significativement différent de un » pour les quatre pays à l’indifférence sur la formation des salaires entre un système d’indexation et un système de négociation libre entre parties concernées. Tranchons les débats avec Louis Aragon pour dire « que tout équilibre vient du balancier ».

Non Monsieur ! Au vues des nombreuses situations, fin des années 1970 et début des années 1980 ainsi à maintes reprises dans les années 1990 et la première décennie du nouveau millénaire quand l’indexation a été mise « hors jeu »2, l’analyse de l’université luxembourgeoise ne fait que confirmer la capacité des gouvernements belge et luxembourgeois, d’un commun accords avec les forces vives de l’économie, à éviter la spirale inflationniste salaire/prix. Un consensus que vient corroborer le « coefficient un » cité plus haut, pas plus. Que la question soit toutefois permises : À quoi bon l’indexation, si, le jour où elle fonce, on la siffle hors-jeu ? Tout compte fait, le Luxembourg n’est pas le Chili du temps des « Chicago boys ».

Siffler le « hors-jeu » à partir d’une vue d’ensemble de la conjoncture et d’un commun accord avec les « parties prenantes » découle du bon sens ; à condition que les « parties donnantes » s’en souviennent quand la conjoncture retrouve le rythme des jours fastes. Or trop souvent par le passé, les raisonnements d’une conjoncture trop incertaine dans les années 1980 et 1990 ont permis de tempérer les ardeurs dans les négociations salariales et les tranches indiciaires sont repoussés aux calendes grecques. De nos jours ce sont la compétitivité et la pression des délocalisations qui font l’affaire. Le manque de courage de nos politiques au pouvoir à combattre énergiquement les conditions inhumaines qui existent dans certains pays producteurs qui nous concurrencent m’a toujours étonné. Le mercantilisme pointe sa tête aux idées courtes. Je sais, je sais la compétitivité !

Plus choquant encore me paraissent les mesures de politiques économiques discutées et mises en œuvre à partir du début des années 1990. Connues outre Moselle sous les sigles « agenda 2010 » et « Hartz IV » et glorifié depuis par maints économistes, ils suivent la logique du champion mondial à l’exportation : « Mieux vaut avoir un job mal payé, que pas de job du tout ». Les contrats à durée déterminée, la « Leiharbeit » et les « Werks-verträge » ont précarisé les emplois à faible valeur ajoutée tout en renflouant les caisses de l’État et celles des patrons. Compétitivité oblige, oui Monsieur ; le modèle rhénan risque d’être exporté vers les pays du Traité de Masstricht. Le pouvoir d’achat des classes moyennes allemandes, déjà en souffrance au cours des années 80, s’en voit raclé davantage. Ceci m’amène à penser que, le jour où le commerce international bat de l’aile, le gouvernement allemand va devoir relancer la demande interne. Finira-t-il par constater que le pouvoir d’achat n’y est plus ? Quel rapport avec l’indice des prix et l’indexation des salaires ?

Les « Schnäppchenjäger » et autres fanatiques du « Geiz ist geil » n’auront plus besoin de courir longtemps pour réaliser le « meilleur marché », car ils s’apercevront que les prix baissent tout seul, partout. Donc ils vont patienter pour voir jusqu’à quel niveau le prochain « discount » les amènera. La déflation est dans la tête des consommateurs et ne se limite pas à une simple baisse des prix ; elle aura un effet déflateur sur la demande interne. Même le « money for nothing, chips for free » ne fera plus « rocker » le consommateur qui aura peur, à juste titre, d’être un jour au chômage. Puis la sous-capitalisation des grandes banques, privées de demandeurs de fonds AAA, les fera rationner encore davantage le crédit, ce qui nous amène au bord d’une dépression. Depuis peu, Jens Weidman, le fervent prédicateur de l’austérité de la Bundesbank, a peur de la déflation : « Les patrons allemands doivent accorder des hausses de salaires beaucoup plus conséquentes pour soutenir l’économie allemande». Nous sommes bien d’accord, mais faites vite.

1 Selon l’étude de l’université : Un Choc exogène sur les prix de un pour cent reste à court terme sans effet sur les salaires réels. Qu’en sera-t-il d’une hausse de la TVA de deux pour cent ? Pas de souci, selon le gouvernement, tous les articles du panier ne seront pas concernés et les entreprises, pour rester compétitives, ne vont pas facturer toute la hausse aux consommateurs. Vraiment ?
Ted Kartheiser
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