Mise en abyme Avant d’être maire de Bettembourg (2011) et secrétaire général du parti chrétien-social (CSV), puis député-maire (depuis 2014), Laurent Zeimet fut journaliste politique au Luxemburger Wort. Sa chronique politique hebdomadaire notamment faisait florès à l’époque Juncker. Il connaît donc bien le métier de la communication politique et sait pertinemment qu’il faut occuper l’espace médiatique, même et surtout en été, lorsque les médias sont avides de sujets à se mettre sous la dent. En tant que manager de la campagne électorale du CSV pour les législatives, il a donc mis en place une stratégie éclatée, comme une arme à sous-munition, à laquelle personne n’échappe. Ainsi, le parti a saucissonné son programme électoral en petites portions thématiques, ce qui permet d’enchaîner plusieurs conférences de presse. Ce lundi, ce fut au tour des sujets éducation, formation, planification territoriale, mobilité et politique européenne.
Durant ces points presse, rien n’est laissé au hasard : trois hommes et une femme pour les présenter, en tenue partiellement décontractée (costume et chemise blanche, mais sans cravate pour les hommes), une scénographie pour la prise de parole devant le logo du parti et ses slogans : « Mir hun e Plang fir Lëtzebuerg » et « Kloer, no & gerecht » (« Nous avons un plan pour le Luxembourg » et « clair, proche et juste »). Laurent Zeimet fait une petite introduction, lance l’une ou l’autre pique en direction du gouvernement, « si nerveux parce que les trois partis veulent absolument rester au pouvoir », puis du LSAP, qui « aurait oublié qu’il est au pouvoir depuis très longtemps », avant d’attribuer la parole d’abord à Martine Hansen pour l’école, à Claude Wiseler pour la mobilité et les infrastructures, puis au président du parti Marc Spautz pour la politique européenne. Chacun a préparé son discours, structuré en points, ils sont pour tout et son contraire, notamment en ce qui concerne la mobilité (le vélo, les transports en commun, le tram et l’élargissement du réseau routier...), restent évasifs lorsqu’il s’agit du concret. La salle est bondée, les journalistes de corvée sont reconnaissants pour le sujet qui fera la une des pages politiques le lendemain. Une équipe de vidéastes et communicants payés par le parti (société Hype) filme et prend des photos au portable – tout cela doit avoir un air vintage, authentique, jeune. En même temps qu’a lieu la conférence de presse, le candidat tête de liste Claude Wiseler, tout juste revenu de vacances, envoie une vidéo sur Instagram, mettant en abyme le travail des journalistes et des politiques, la présentation devient un sujet politique qui nous dit : hé, ça bosse ici ! Lors de la prochaine conférence de presse du CSV, le 7 septembre, le parti présentera sa campagne électorale entière.
Gewulls am Tirang Selon l’accord sur la campagne électorale signé le 19 juillet par les grands partis CSV, LSAP, DP, Déi Gréng et ADR, la campagne électorale officielle pour les législatives du 14 octobre ne durera que cinq semaines et commencera le 10 septembre. Ils ne dépenseront pas plus de 75 000 euros chacun. C’est une durée très brève, comparable à celle de la campagne de 2013 – mais cette échéance-là était extraordinaire, puisqu’il s’agissait d’élections anticipées –, et tout se passe comme si cette nouvelle date pour des élections législatives (traditionnellement, les élections législatives avaient lieu en juin et les communales en octobre) avait pris tout le monde de court. Car même à deux mois de la date d’échéance, c’est le calme plat côté campagne. Les principaux mandataires politiques sont en vacances, lessivés par le marathon législatif qui avait précédé la clôture de la séance, même le bâtiment de la Chambre des députés est en chantier. Les dernières listes des candidats devaient être déposées hier, jeudi 16 août, et les partis avancent en ordre dispersé : les uns ont déjà présenté leur programme électoral lors d’un congrès (LSAP, Gréng), d’autres l’ont discrètement mis en ligne (DP) et les derniers suivront en septembre (notamment le CSV). Comment l’électeur s’y retrouvera-t-il ? Comment est-ce qu’il saura quel parti lui parle le plus ?
Comme peu d’autres campagnes avant, celle-ci est une guerre des images (d’Épinal). Et une campagne extrêmement éclatée, people-isée à l’excès. Elle se passe sur internet avant tout, notamment sur les réseaux sociaux, où chaque candidat se met autant en valeur qu’il peut, inventant un storytelling sur mesure. Ainsi, bien que Claude Wiseler ait été désigné tête de liste du CSV avec 98 pour cent des voix au congrès d’octobre 2016 déjà et qu’il tente d’incarner cette fonction, qu’il canalise la communication vers l’extérieur via une campagne très centralisée, il ne peut empêcher ses collègues de se faire mousser eux aussi. Notamment l’inébranlable Viviane Reding, qui « sait tout faire » selon ses propres dires et qui, sur Instagram, meuble le calme plat de l’actualité politique en été par un abécédaire aux images rétrogrades, où elle pose avec Pedro Almodóvar ou Quentin Tarantino qu’elle a jadis rencontrés en tant que commissaire européenne responsable des médias (lettre F comme Film), avec l’abbé Heiderscheid, directeur du Wort alors qu’elle y était journaliste (lettre J comme Journalismus) ou avec ses trois fils adultes, « meng 3 Borschten », qu’elle a élevés à une époque, raconte-t-elle, où concilier vie privée et vie professionnelle était encore beaucoup plus difficile (lettre K comme Kanner). Or, celle qui, à 67 ans, croit être une sérieuse concurrente à Claude Wiseler et espère au moins dégoter un poste de ministre, a des références antédiluviennes, voire réactionnaires, comme si elle s’adressait surtout à des retraités qui connaissent encore ses modèles Pierre Werner, Jean Wolter, Jean Spautz ou Jacques Santer (lettre C comme Chamber). Elle écrit de longs textes personnels pour accompagner chacune des images/lettres et s’y montre excessivement patriote.
À tu et à toi avec Etienne Créer du lien, montrer « l’homme Etienne Schneider » derrière le ministre (de l’Économie, de la Sécurité intérieure et de la Défense) en l’accompagnant dans ses déplacements est l’objectif de Ënnerwee mam Etienne (qui rappelle singulièrement Juncker on Tour de 2009), une série de vidéos publiées sur son compte Facebook officiel, explique Pascal Husting, ancien directeur de Greenpeace (Luxembourg & France) et actuel chargé de la campagne au LSAP. Pas plus tard que ce mardi, ils tournaient à Belval les prochains épisodes de cette série qui est vue par plus de 20 000 personnes à chaque fois. On y suit Etienne Schneider qui papote de manière décontractée dans sa berline de fonction l’emmenant à la fête de la Police ou au Gaymat, et qui commente l’actualité politique du moment. Dans la voiture : un des cameramen de l’agence Parcours, spécialisée en réseaux sociaux, qui pose des questions candides au ministre (ou exprime son émerveillement sincère quant au faste de la Chambre des députés, qu’il n’avait jamais vue) – et donne ainsi à Schneider l’occasion de faire une communication basique pour le commun des internautes. On apprend qu’il écrit ses discours lui-même par exemple, et qu’au début, il était nerveux avant de parler devant beaucoup de gens, mais qu’avec l’expérience, cela s’estompe. Schneider la bête de scène tutoie tout le monde – et offre le tu à tout le monde – et réussit le grand écart d’être respecté aussi bien par les policiers en uniforme que par les homosexuels hauts en couleurs du Gaymat. « Et quand le ministre de la Police luxembourgeois est invité à l’étranger, s’enorgueillit-il sur la scène à Esch, c’est toujours un ministre homo » – son public est enthousiaste. Tout en s’engageant pour l’émancipation des homosexuels, il peut ainsi promouvoir la politique sociétale progressiste du gouvernement DP/LSAP/Verts, qui a introduit le mariage pour tous. Schneider est tête de liste de son parti et mène cette campagne avec détermination et volontarisme, profitant de la situation privilégiée d’un bilan gouvernemental à défendre, par exemple sur le plan économique (voir p. 4), et a même pu annoncer une tranche indiciaire en début du mois (pour laquelle ni lui ni le gouvernement n’ont de mérite direct).
« Nous sommes en train de préparer une campagne plus globale, présentant tous nos candidats et tous nos thèmes, un peu comme un abécédaire politique, avec aussi un site internet dédié et un slogan que nous allons lancer début septembre », explique encore Husting, qui parle d’un « parti pris très fort ». Il est vrai que d’autres partis, comme notamment le DP et les Verts, qui avaient présentés leurs slogans avant l’été, ont presque complètement disparu depuis : on n’a plus de nouvelles de la campagne Better call Bettel (voir d’Land 15/18), dont on n’a vu que deux épisodes, et le canal Whatsapp du DP, qui devait constituer « en direkten Drot » (une ligne directe) avec le parti du Premier ministre, n’a plus rien envoyé depuis le 2 mai. Les Verts quant à eux se font discrets, publient, sur leur site Facebook, quelques « cartes postales électroniques » du Nord du pays, mais semblent pour le reste tous en vacances. Le DP comme les Verts misent fortement sur le repli identitaire dans leurs campagnes, avec des slogans comme « Zukunft op Lëtzebuergesch » (l’avenir en luxembourgeois, DP) et « Well mer eist Land gär hunn » (parce que nous aimons notre pays, Verts) qui pourraient tout aussi bien être ceux de l’ADR et de ses nouveaux coéquipiers de l’initiative Wee2050.
Meng Heemecht, déng Heemecht Car à l’heure du Maga (Make America great again) et du Heimatministerium en Allemagne, il est à nouveau politiquement acceptable de parler avant tout de langue nationale et de patrie, de promouvoir le repli sur son propre territoire et de chercher une identité forte dans un passé mouvementé. La meilleure manière de s’en persuader – et de craindre ce que les grands partis vont encore en récupérer – est de suivre les vidéos des candidats ADR. L’ancien journaliste de RTL Télé Lëtzebuerg Dan Hardy, lui-même candidat ADR, passe son été à réaliser de petits portraits filmés de leurs candidats qu’il publie sur Youtube, chaque portraité se mettant en scène comme bon lui semble. Alors chacun défend son dada : le vétérinaire et président Jean Schoos parle des droits des animaux, Jean Welter, auteur de la pétition électronique sur la langue luxembourgeoise, qui avait recueilli presque 15 000 signatures, s’engage bien sûr pour la langue, comme Fred Keup et Tom Weidig de Wee2050. Mais on voit aussi le député Gast Gibéryen jouer avec ses chiens et appeler tous les électeurs à donner leurs voix à l’ADR pour que « un vrai changement politique soit possible » ou la pianiste Goulnora Soultanova demander un meilleur enseignement musical au Luxembourg. Si ces vidéos ne sont regardées que par quelques dizaines de personnes (une vingtaine pour Roby Mehlen), elles exacerbent en petit ce que cette campagne électorale est en grand : une personnification extrême où chaque candidat représente une seule idée, un idéal de manière hyperbolique – les petites gens, les familles, les jeunes, les Luxembourgeois opposés à la croissance économique et aux phénomènes qui l’accompagnent, notamment l’immigration. Comme si souvent, l’ADR colle de manière caricaturale à l’air du temps, qui règne au Luxembourg comme en Europe. Dans un pays où les électeurs ont pour passion le panachage, cette atomisation des positions semble une des réactions possibles à la désorientation idéologique.