Ils sont gentils, les artistes. Mignons. Ça décore, ça danse un peu, parfois ça crie, ça chante, parfois ça se déshabille même de manière impromptue lors de la remise du Filmpräis – ce qui amuse la galerie. Mais c’est quand ils formulent des revendications sociales et à coûter cher que les artistes constituent un problème pour l’État.
En 1999, consciente que la non-affiliation de bon nombre d’artistes indépendants aux caisses de maladie et de retraite – les 430 euros mensuels minimum étant beaucoup d’argent si on commence le mois avec zéro euros – constituait un problème pour eux en cas de maladie ou les 65 ans dépassés, la ministre de la Culture de l’époque Erna Hennicot-Schoepges (CSV) avait introduit un statut professionnel pour ces artistes indépendants et les intermittents, notamment actifs dans le secteur de l’audiovisuel. La loi, très contestée en amont de son vote par tous ceux qui y voyaient poindre une débauche généralisée et financée par la main publique, ouvrait le droit à une indemnisation en cas d’inactivité, à un complément du revenu jusqu’à hauteur du salaire social minimum en cas de dèche, mais aussi un système de commandes publiques pour les bâtiments financés par l’État. Ce système de Kunst am Bau, ou un pour cent culturel en France, est un des seuls gros marchés pour les artistes plasticiens autochtones, décrocher une telle commande suite à un concours d’idées constitue un boulot (et un revenu) sur plusieurs mois.
Or, depuis 1999, la loi ne cesse d’être adaptée. Soit sur des questions administratives de gestion des dossiers, de compositions des différentes commissions jugeant l’admissibilité d’un artiste au statut ou son dossier lors d’un concours. Soit, comme dans le budget de 2009, sur des choses plus fondamentales : à ce moment-là, la somme maximale réservée au « décor artistique » a été plafonnée à 800 000 euros (alors que, pour le moindre lycée, qui coûte 120 millions d’euros au Luxembourg, cette somme devrait être d’au moins 1,8 million, puisqu’en 2011, le pourcentage minimal a été fixé à 1,5 pour cent du coût global). Et voilà que, au détour des amendements au projet de loi n°6612 modifiant la loi de 1999, déposés début août, la ministre de la Culture libérale Maggy Nagel coupe encore une fois dans cette somme : « Le montant à affecter à l’acquisition d’œuvres artistiques ne peut pas dépasser la somme de 500 000 euros par édifice ».
Le plus consternant sur ce point est le commentaire des articles, qui dit que certes « l’administration publique a une responsabilité certaine et doit agir en tant que modèle ». Mais, puisqu’il faut « réduire les dépenses de l’État », « il s’agira de faire appel aux artistes d’être plus créatifs avec des matériaux et médias moins onéreux ». Voilà une belle adaptation du slogan : « faire plus avec moins d’argent » du ministre des Finances : il ne faut pas toujours que toutes les sculptures soient en marbre si on peut les faire en coran, et pourquoi forcément choisir des métaux précieux, si on peut aussi utiliser du plaqué et remplacer le bois massif par du contreplaqué MDF ? C’est ne pas connaître les contraintes d’une œuvre, dont le prix se base par exemple sur la taille de la surface à « décorer », ou sur des facteurs comme la dégradation par les saisons si l’œuvre est en extérieur. Qui mettrait en cause le prix par mètre carré d’un peintre en bâtiment ou d’un plâtrier ? Il faut dire aussi que les artistes se défendent très mal au Luxembourg, qu’ils font preuve de peu de solidarité et qu’ils n’arrivent même pas à créer un syndicat digne de ce nom pour les représenter.
L’argumentation du ministère de la Culture ne se base sur aucun autre fait que l’obligation de faire des économies. Et pour cause : le marché des commandes publiques reste un de secrets les mieux gardés de l’État, il n’y a aucune liste des œuvres réalisées jusqu’à présent, ni aucune information accessible sur leur coût ou la ventilation de celui-ci, même suite à plusieurs demandes du Land.
Les autres amendements de la ministre Maggy Nagel tiennent surtout compte des nombreux avis négatifs au projet de loi déposé fin 2013 encore par sa prédécesseure Octavie Modert (CSV ; voir d’Land du 10 janvier 2014). Et, sur certains points, les amendements constituent effectivement des avancées par rapport à ce projet de loi original. Ainsi, il n’est plus demandé aux artistes de prouver une progression de dix pour cent de leurs revenus entre deux demandes d’obtention du statut, mais de « faire preuve d’une certaine évolution voire progression professionnelle à travers des projets artistiques ». Pour avoir droit aux aides sociales, la clause de résidence – habiter durant deux ans au grand-duché – est remplacée par une clause d’affiliation : avoir cotisé durant au moins six mois à la Sécurité sociale luxembourgeoise. En outre, le demandeur doit « faire preuve d’un engagement dans la scène artistique et culturelle luxembourgeoise ». Le commentaire explique que cet engagement se fait par le biais d’expositions, de concerts, de pièces de théâtre « ou autres ». Comme sur le point de la « progression » de l’artiste, il demeure mystérieux qui jugera ces facteurs, et selon quels critères. Probablement la commission consultative, dont la composition demeure aussi secrète que la liste des commandes publiques réalisées jusqu’à présent. Les cours de perfectionnement administratifs, obligatoires pour les artistes dans le premier texte, seront désormais facultatifs.
Par ailleurs, les amendements instaurent un parallélisme entre artistes indépendants (plasticiens, auteurs...) et intermittents (acteurs, techniciens du cinéma...), en ce qui concerne les conditions d’obtention des aides sociales : il faut pouvoir prouver avoir gagné au moins quatre fois le salaire social minimum mensuel pour travailleur non qualifié par son art durant l’année qui précède la demande (soit 7 644 euros actuellement). Puis l’artiste peut toucher au maximum quelque 13 000 euros d’aide sociale sur un an (à peu près le montant des aides financières pour étudiants). En 2012 et 2013, les artistes ont demandé en moyenne 11,91 fois l’aide sociale sur une période de deux ans. En 2013, 29 personnes avaient le statut de l’artiste professionnel indépendant. Et 212 demandes d’inactivité ont reçu une réponse positive. L’alimentation du Fonds social culturel quant à elle ne cesse de baisser : de 1,46 million en 2012 à 1,1 million cette année. Que les demandeurs aient un badge qui leur certifie leur statut d’artiste, comme voulait l’introduire Octavie Modert ou pas (Maggy Nagel a supprimé ce passage du projet de loi) importe finalement assez peu.