Procédures Après avoir essayé de se défendre et de se maintenir au pouvoir, le Premier ministre Jean-Claude Juncker s’est résigné à 21 heures mercredi soir à démissionner – ne laissant pas à l’opposition politique, plus les socialistes, la satisfaction d’une mise en minorité hypothétique du CSV lors du vote des motions de censure déposées par Alex Bodry, LSAP, et Felix Braz, Déi Gréng. Juste avant le vote, il annonça donc que, bien qu’il ne s’attendît pas à être trahi par le partenaire de coalition socialiste « après 25 ans ! » (voir aussi pages 2-3), il allait convoquer le gouvernement Juncker-Asselborn II une dernière fois hier jeudi matin avant d’aller soumettre la démission de ce gouvernement au grand-duc Henri. L’article 74 de la Constitution attribue l’initiative de dissoudre la Chambre au grand-duc (« peut dissoudre la Chambre »). Ce même article arrête que : « Il est procédé à de nouvelles élections dans les trois mois au plus tard de la dissolution. » Les délais commenceront donc à courir à partir du moment où le grand-duc prononcera cette dissolution : dans l’hypothèse d’un arrêté grand-ducal publié le 17 juillet (hypothèse sur laquelle travaillait l’administration du Parlement depuis début juillet), ces élections auraient donc lieu le 20 octobre. Or, les responsables des institutions sont en train de vérifier s’il y a moyen d’avoir recours à une dissolution différée à l’automne, ce qui permettrait au gouvernement de continuer à travailler durant tout l’été, notamment sur le projet de budget 2014, ou de passer par une loi qui fixerait la date des élections.
Des élections fixées au 20 octobre permettrait aux partis d’avoir un peu plus de temps pour le sprint logistique qui les attend pour l’organisation de ce scrutin anticipé. Prochain délai : l’arrêt des listes électorales, donc celles recensant tous les électeurs inscrits par commune – date importante pour les nouveaux électeurs : elles seront arrêtées « le premier vendredi qui suit la date de l’arrêté de dissolution » dit l’article 12 de la loi électorale, donc le 19 juillet. Cela implique un certain stress au niveau local, car ce sont les administrations communales qui vérifient et publient ces listes, appellent les lecteurs à aller voter, distribuent les bulletins et mettent en place les bureaux de vote.
Premier casse-tête : les candidats Prochaine étape dans le calendrier des préparatifs pour des élections : les listes de candidats. Elles doivent être déposées par circonscription « au moins soixante jours avant (...) les élections » (article 136), ce qui nous amène au 21 août. « Nous avons déjà des réactions de beaucoup de ceux que nous avions approchés en vue d’une éventuelle candidature pour ces prochaines législatives, en mai 2014, affirme Claude Lamberty, manager de la campagne du DP. Nous allons encore les relancer et accélérer le processus, mais je n’y vois pas de problèmes. D’ailleurs beaucoup se réjouissent que ce sera une campagne électorale très courte ! »
Même son de cloche auprès des autres centrales des campagnes des grands partis en lice : « Initialement, nous avions demandé aux candidats potentiels de se manifester avant septembre, explique Laurent Zeimet, le secrétaire général du CSV, dont c’est la première campagne électorale en tant qu’organisateur, nous allons devoir raccourcir les délais. Mais on y arrivera – on y arrive toujours, même si certains recours ou repêchages deviennent impossible au vu des délais... » L’approche est similaire chez les Verts, où Abbes Jacoby, secrétaire du groupe parlementaire et manager de campagne, rappelle que ce sont les sections qui proposent des listes de candidats des Verts, qui « pourront sans conteste être prêtes pour fin juillet, nous avions bien avancé » note-t-il. Pour Yves Cruchten, secrétaire général du LSAP, le fait que les élections aient lieu sept mois plus tôt que prévu n’est pas vraiment un casse-tête non plus : « Nous sommes rôdés dans l’exercice, on va s’y mettre ».
Renouveau ? Les leaders du LSAP, Yves Cruchten et le président Alex Bodry, avaient d’ailleurs déjà écrit aux sections pour les inviter à respecter certains critères pour le choix des candidats qu’ils allaient proposer : « Nous leur avons demandé de nommer un maximum de nouveaux candidats, de femmes et de jeunes, explique Yves Cruchten. Parce que nous sommes persuadés que le renouveau de ses équipes, on ne peut pas l’obtenir dans l’opposition. On doit le faire en sortant d’une majorité ! » Le LSAP aura un problème majeur en octobre : certains de ses mandataires les plus populaires – comme Jeannot Krecké, Mady Delvaux, Ben Fayot au Centre – ont soit déjà arrêté la politique, ou annoncé de longue date qu’ils désiraient ne plus se représenter. D’autres, les mastodontes du Sud comme Jean Asselborn, Lucien Lux ou encore Mars di Barolomeo, semblent usés par le pouvoir, après avoir mené maintes batailles. Ou ont, comme Alex Bodry, le sang du régicide de mercredi sur les mains – ce qui peut s’avérer un plus auprès des militants, furieux après la position conciliante du LSAP dans le « casus Frieden », fin juin, tout comme les plus grands fans de Juncker, qui trouvent que c’est « le meilleur de nos politiciens », peuvent lui en tenir rigueur. C’est pourquoi la jeune garde du LSAP, dans les starting blocks depuis les dernières élections de 2009 au moins, plaide plutôt pour un candidat tête de liste vierge, incarnant ce renouveau, comme Étienne Schneider, ministre de l’Économie depuis février 2012 seulement, nommé après le départ volontaire de Jeannot Krecké, sans être passé par la case élections. On peut donc considérer qu’il n’en a jamais perdu encore. « C’est au congrès de décider, note Yves Cruchten, mais j’estime qu’Étienne Schneider est un politicien extrêmement compétent, que je crois tout à fait capable de devenir Premier ministre de ce pays ! »
« Chez nous, insiste Laurent Zeimet, le renouveau est un processus permanent ! » Il est vrai que le changement le plus récent de l’équipe gouvernementale concernait deux ministres CSV : après le départ de François Biltgen et de Marie-Josée Jacobs, fin avril de cette année, les nouveaux Marc Spautz et Martine Hansen n’eurent que deux mois et demi dans leurs mandat respectifs, la dernière n’ayant eu le temps que de déposer en urgence un projet de réforme des critères d’attribution des bourses d’études, voté à la va-vite mardi, dans le chaos généralisé de cette semaine parlementaire. Avant cela, plusieurs cas de disparitions tragiques (comme les morts accidentelles de Mill Majerus et de Lucien Thiel) ou non (comme celui de Jean-Louis Schiltz) avaient fait se rajeunir les rangs du CSV, avec notamment l’arrivée de Serge Wilmes, CSV, à peine trente ans, fin 2011.
« Mir mam Premier ! » Mais rien n’y fera : les élections anticipées d’octobre 2013 seront des élections pour ou contre Juncker – un plébiscite ! Après deux campagnes axées quasi exclusivement sur son extrême popularité, avec les Juncker on tour à travers villes et villages fleuris, on croyait le concept fatigué. Son initiative de mercredi soir de proposer la démission du gouvernement entier, vient de le remettre en selle : « Mir mam Premier ! » écrivait le CSV sur son site Internet le soir même, réfutant en trois mots toutes les spéculations ayant circulé jusque dans la presse internationale selon lesquelles la démission de son gouvernement allait être sa fin tragique. Tous les autres auront alors beau jeu de chercher les plus jeunes, les plus beaux et les plus compétents des candidats, ils devront toujours se positionner face à ce parrain de la nation moderne.
Le DP aurait un politicien extrêmement populaire à proposer pour le défier : dans le dernier Politbarometer de TNS-Ilres–Wort–RTL d’avril 2013, il dépasse Jean-Claude Juncker non seulement en sympathie, mais les gens le croient désormais aussi plus compétent que le Premier ministre. Le problème est que Xavier Bettel aimerait rester maire de la capitale, mandat qu’il n’occupe que depuis deux ans et qui lui convient tout à fait. « J’aime être bourgmestre et je voudrais terminer mon mandat, qui s’étend jusqu’en 2017, » dit-il à qui veut l’entendre. Au début, il affirmait même qu’il allait se présenter aux législatives de 2014, mais ne comptait pas accepter un quelconque mandat ministériel, ce qui a déstabilisé la base. Aujourd’hui, il est devenu moins radical, le prend à la rigolade (« Si le DP engrange 31 mandats, je veux bien devenir Premier ministre », RTL Background le 6 juillet), mais Claude Lamberty insiste : « Xavier a exprimé le vœu de ne pas être tête de liste nationale, ni d’accepter de mandat ministériel, et nous devons respecter ce vœu ! » Le DP se présentera donc très probablement avec des têtes de listes par circonscription : Xavier Bettel au centre, Claude Meisch au Sud, Maggy Nagel à l’Est et Fernand Etgen au Nord. Les Verts, quant à eux, proposeront, comme à leur habitude, des doubles têtes de liste homme / femme par circonscriptions.
Deuxième casse-tête : les programmes Pour les partis, le prochain mois sera un mois intense d’organisation formelle du processus démocratique prévu dans leurs statuts respectifs pour l’adoption et des listes de candidats, et des programmes électoraux. Pour les équipes, cela veut parfois dire : adieu les vacances d’été ! Le ballet des congrès extraordinaires a commencé dès hier soir au CSV, suivi mardi 16 juillet par les Verts et le LSAP. Ces congrès servent en un premier temps à l’explication de ce qui s’est passé, de l’adaptation statutaire (le congrès du CSV était initialement prévu pour ça), et de la procédure à suivre.
Les quatre grands partis avaient déjà commencé la rédaction de leurs programmes électoraux au cours de cette année, la majorité d’entre eux ayant optés pour des groupes de travail. La rentrée de septembre devait être la date butoir pour adopter ces textes, avant d’aller à la quête de candidats s’identifiant avec ce programme et ayant envie de le défendre devant les électeurs. Cette fois, la chronologie pourrait être inversée, les candidats devant probablement se déclarer avant l’adoption définitive des programmes électoraux. « Traditionnellement, dit Yves Cruchten, nos programmes faisaient 100 à 120 pages. Bien que nous ayons bien avancé, il est peu probable que celui de cette année prenne cette envergure. Nous allons probablement nous axer sur cinq ou six thèmes centraux. » Et de citer, « je suppose », l’emploi, l’économie, le logement ou la justice sociale... Même son de cloche auprès des autres partis : il faudra désormais accélérer les choses pour une adoption de programmes ultra-light avant septembre et une campagne électorale qui sera un sprint de six semaines, entre début septembre et fin octobre, au lieu du traditionnel marathon de presque un an.
Si les partis qui disposent au moins d’une fraction au parlement, ont de grosses machines derrière eux pour réaliser ce défi organisationnel historique, ce sont les plus petits qui en pâtiront : l’ADR allégé, la Gauche, le nouveau PID, le Parti communiste ou le Parti pirate, qui, triomphant de cette opportunité de se présenter, fut le premier à publier une liste complète, pour la circonscription Nord, le week-end dernier. Alors que les grands disposent de réserves de financement à avancer jusqu’au remboursement des frais de campagne prévu par la loi, ces élections anticipées constituent un casse-tête financier pour les petits, qui n’ont pas de garantie de voir un des leurs élus pour se voir attribuer ces frais de campagne.
Décalage Au final, il aura manqué presque une session parlementaire complète à la majorité sortante pour finaliser un certain nombre de ses grandes réformes annoncées – et préparées depuis au moins quatre ans, sinon depuis la législature précédente : la réforme de l’enseignement secondaire, celle du statut des fonctionnaires ou de la constitution, qui étaient toutes les trois sur la dernière ligne droite. Mais aussi des dossiers comme la révision de l’assurance-dépendance ou du plan hospitalier, la grande réforme de la justice ou le vote du projet du tram... Tous ces thèmes se retrouveront donc dans les programmes électoraux pour la prochaine législature, qui durera cinq ans elle aussi et se terminera en juin 2018 (« En cas de dissolution de la Chambre, la sortie des députés élus après la dissolution a lieu (...) l’année qui suivra l’ouverture de la cinquième session ordinaire », article 123 de la loi électorale).
Le deuxième décalage qui s’opère avec ces élections anticipées est la séparation tant revendiquée par certains partis des deux scrutins, législatif et européen : les élections européennes auront lieu comme prévu le 25 mai 2014. À voir si on aura ce débat d’autant plus passionnant des questions européennes et si les candidats seront nettement plus enthousiastes eux-mêmes. « Ce qui est certain, c’est que nous risquons de nous retrouver en campagne permanente durant un an, » estime Laurent Zeimet du CSV.