« Je n’ai pas d’argent. Mais je peux aider en donnant mon temps et ma compétence, par exemple pour organiser des activités avec les enfants... ». Djuna Bernard a un grand sourire, le regard ouvert, quand elle parle. À 23 ans, un bachelor en études européennes de l’Université du Luxembourg en poche, elle s’apprête à rejoindre l’université de Heidelberg pour un master en non-profit management and government. En lisant un article du Spiegel sur l’engagement d’étudiants allemands dans l’accueil des réfugiés, qui promeuvent une culture de la générosité sous le mot-dièse #refugeeswelcome sur les réseaux sociaux, aussi en réaction aux actes racistes qui se multiplient, Djuna s’est dit : pourquoi pas nous ? Pourquoi ne pas faire la même chose au Luxembourg. « ‘Komm mär rappe mol eng !’ me suis-je dit, se souvient-elle. J’avais envie de lancer mon Indignez-vous ! à moi, ici. » Vendredi soir, 21 août, elle lance la page Facebook, Refugees Welcome to Luxembourg, « je m’attendais à avoir, allez, 200 mentions j’aime... ». Dimanche soir, plus de 3 000 personnes avaient adhéré, mercredi 5 800, Djuna était subjuguée. Puis il y a eu les médias, « j’ai donné une interview après l’autre, une dizaine en une semaine », RTL, 100,7, la presse écrite. Recueillir les réactions des internautes, leur répondre, nettoyer la page de tous les messages racistes et haineux, qui, il faut l’avouer, affluent aussi, sous le crédo « ils font tout pour les étrangers mais rien pour les Luxembourgeois » – « j’ai décidé que je ne voulais pas de ça sur ma page » affirme Djuna –, la jeune idéaliste est désormais occupée à plein temps par son initiative.
Ce succès dit surtout une chose : qu’il y a une réelle empathie dans la population luxembourgeoise, que les gens veulent aider, veulent partager. Messages de solidarité, propositions de bénévolat, de dons financiers et matériels, Djuna Bernard recueille tout, répond à chaque fois qu’il faut patienter un peu avant de passer à l’action. Et dans les coulisses, elle contacte l’Office luxembourgeois d’accueil et d’intégration (Olai), dépendant du ministère de la Famille et de l’Intégration, et les ONGs, notamment la Caritas, la Croix-Rouge ou l’Asti, pour savoir quels sont les besoins les plus urgents et comment faire pour organiser cette aide. « En ce moment, tous m’ont dit qu’il fallait patienter, qu’ils faisaient un inventaire de leurs besoins. Puis je vais partager ces informations avec ceux qui ont proposé leur aide. » Outre des aides matérielles, de plus en plus de personnes proposent d’accueillir un ou deux réfugiés dans leurs foyers, ou de faire des activités avec eux. Que le Premier ministre Xavier Bettel (DP) lance un appel dans ce sens (dans le Luxemburger Wort du 27 août) a encore amplifié ce mouvement, aussitôt refroidi par des récits de bénévoles qui se sont vus refuser toute aide matérielle, voire même l’accès aux foyers. Or, même et surtout dans le social, il est aussi question de responsabilité et de protection des droits des plus faibles.
Car si l’enfer est pavé de bonnes intentions, la vague de solidarité qu’ont entraîné les reportages sur les réfugiés morts en mer ou dans des camions, sur les méthodes sans scrupules des trafiquants, le désespoir des migrants fuyant la guerre ou les persécutions et les conditions d’accueil catastrophiques dans de nombreux pays, cette vague donc doit être structurée et organisée. Les foyers d’accueil sont des espaces protégés où les migrants peuvent souffler, se reposer après leur périple, avoir une vie digne et calme avec leurs proches. Ce ne sont ni des décharges pour tout son vieux broll, ni des asiles où on peut « aller chercher un enfant » pour l’emmener au Parc merveilleux lorsqu’on a une après-midi de libre afin de faire des selfies pour se valoriser sur les réseaux sociaux. « Nous manquons de personnels à l’Olai, affirme la ministre de la Famille et de l’Intégration Corinne Cahen (DP). Notre personnel a actuellement assez à faire à gérer le quotidien dans les foyers, mais les bénévoles doivent être encadrés, formés et on doit peut-être assurer un suivi psychologique derrière. » Parce que les réfugiés syriens, afghans ou érythréens qui commencent à arriver ont vécu des choses inimaginables pour l’Européen moyen, et dont même le récit est parfois difficile à encaisser. Ou parce qu’ils ont une autre culture et une autre religion qu’il faut comprendre et respecter. « Même réceptionner, vérifier, nettoyer et classer les vêtements d’occasion, c’est du travail, que pourraient certainement assurer des bénévoles », estime la ministre. Le travail de coordination de ces bénévoles doit alors être assuré par les ONGs, qui ont de l’expérience dans ce domaine ; l’Olai leur proposera prochainement des extensions de leur conventions dans ce sens. Les bénévoles, eux, se voient aussi proposer des conventions, dans lesquelles sont fixés leurs droits – notamment en matière d’assurances – et les conditions dans le cadre desquelles ils opèrent. « C’est tout à fait compréhensible, juge Djuna Bernard. Il pourrait aussi y avoir des fous dangereux qui voudraient s’en prendre aux réfugiés... Il est normal que les foyers soient protégés et que les exploitants sachent à qui ils ont affaire. Les foyers sont de l’ordre de la sphère privée de ces gens, il ne peut pas y avoir de va-et-vient permanent. »
« Je devais aussi voir Monsieur Piron, le directeur de l’Olai cette semaine, raconte Djuna Bernard, mais il s’est désisté et m’a dit qu’il n’avait pas le temps de me recevoir. Je veux bien lui croire, mais je ne vais certainement pas abandonner mes demandes d’informations ». Car la page Facebook n’était qu’un début pour cette jeune femme engagée, scout à la Fnel, militante écolo et vice-présidente de la Conférence nationale de la jeunesse, qui insiste que cette initiative-ci, elle l’a prise en son nom personnel, « je ne voudrais surtout pas qu’elle soit trop politisée ». Elle est en train de créer une asbl, qui prendra peut-être le même nom, Refugees Welcome to Luxembourg, et sera constituée d’amis engagés de tous les secteurs, de l’éducateur au juriste en passant par l’enseignant, et de tous les âges. En deuxième lieu, elle imagine créer une page internet qui coordonne et informe sur les besoins, à l’image d’initiatives semblables à l’étranger (comme fluechtlinge-willkommen.de en Allemagne). « Le plus important est d’informer les gens et leur dire ce qu’ils peuvent faire concrètement, explique Djuna Bernard. Il y a quatre grandes catégories d’aides nécessaires : matérielles, financières, donner un peu de son temps et sensibiliser sur la vie des migrants. » Concrètement, elle commencera, avec dix collègues, fin septembre à donner deux heures de cours d’appui pour les enfants scolarisés et deux après-midi d’activités avec les enfants par semaine. « Et là, insiste Djuna Bernard, je ne fais pas de différence entre les nationalités et entre le statut des personnes, qu’elles soient des réfugiés économiques, des demandeurs d’asile, en procédure ou déboutés... Qu’un enfant soit Albanais ou Syrien ne joue aucun rôle. Les frontières, ce sont les hommes qui les ont créées ! »