La famille Cetkovic du Kosovo

Judiciarisation

d'Lëtzebuerger Land vom 17.07.2015

Emilija parle couramment le luxembourgeois, a à peine un accent. La fille de onze ans a appris la langue en deux ans et demi, depuis que sa famille, les Cetkovic, a fui le Kosovo pour venir s’installer à Habscht, elle est scolarisée au cycle 4.1 de l’école de Eischen et ses amies et leurs familles ont tout fait ce qui était dans leur pouvoir (pétition en-ligne, groupe Facebook, alerter les médias grand public) pour qu’Emilija et sa famille puissent rester. La famille est intégrée, même le curé du village le certifie ; leur aîné, Balsa, seize ans, scolarisé au Lycée technique du centre, sait que cette formation est sa seule chance de faire sa vie. Pourtant, rien n’y fait : ce mercredi, la Direction de l’immigration leur a signifié que vu que leur demande de protection internationale a été rejetée par toutes les instances, ils devront quitter le pays de leur plein gré. Au risque, sinon, de se faire expulser manu militari. Alors, « par respect pour le Luxembourg », ils vont partir volontairement, ont-ils fait savoir en sortant de leur rendez-vous. Bien qu’il cherche à afficher, sur le plan européen, sa solidarité avec les réfugiés et sa générosité pour garantir un accueil digne en Europe, le ministre de l’Immigration Jean Asselborn (LSAP) s’est dit impuissant dans ce dossier, parce que la décision vient des juridictions – qui ne font qu’appliquer la loi.

Après le Lëtzebuerger Flüchtlingsrot il y a un mois, la Commission consultative des droits de l’homme a présenté ce mercredi son avis sur le projet de réforme de la législation réglant le droit à la protection internationale (n°6779, application du paquet asile européen) et ses juristes s’inquiètent des régressions qu’implique cette réforme sur de nombreux plans, notamment en ce qui concerne l’accès à la procédure de demande d’asile. En premier lieu, l’entrée à la procédure administrative devient beaucoup plus compliquée avec ce texte, le demandeur devant suivre cinq étapes (au lieu d’une seule maintenant) avant de recevoir son papier certifiant le dépôt d’une demande, papier qui ouvre la voie aux aides prévues (logement, nourriture, conseil...) Puis les ONGs craignent que certains contentieux soient exclus de l’assistance judiciaire, notamment les procédures de recours devant les juridictions administratives qui n’ont pas de « perspective tangible de succès ». Ce serait alors au bâtonnier du barreau de décider quelle demande a des « perspectives de succès » et quelle autre n’en a pas. Or, la jurisprudence européenne (affaire Aerts contre Belgique, 1998) arrête que seules les juridictions peuvent se prononcer elles-mêmes sur le bienfondé d’une demande.

On constate, dans le domaine de l’asile, une certaine schizophrénie des politiques, aussi bien en Europe qu’au Luxembourg. Certes, ils veulent faire preuve de charité, alors ils achètent des chaussures à un sans-abri – mais ne le sortent pas de la misère. Ils aimeraient bien ne plus devoir être confrontés avec des images de familles africaines noyées en Méditerrannée – mais ne sont pas prêts à en accueillir dans leur pays ou leur village. Ils voudraient être bons avec les demandeurs de protection internationale qui sont intégrés et ont un réseau d’amis luxembourgeois – mais craignent l’appel d’air que provoquerait une trop grande générosité. Jean Asselborn avait lui-même, après avoir pleuré en entendant les récits très durs des élèves migrants du LTC, introduit un amendement au projet de loi 6779 permettant aux jeunes scolarisés depuis quatre ans au Luxembourg, de terminer leur formation ici (mais la famille Cetkovic n’est ici que depuis deux ans et demi). Ils voudraient jouer le bon rôle, celui du recours gracieux, mais pas le mauvais, celui de devoir expulser selon les lois qu’ils ont forgées eux-mêmes. Ce rôle, ils voufraient le judiciariser afin de pouvoir dire :  « les décisisions, ce sont les tribunaux ! » Le temps des demandeurs de protection internationale est un autre que le temps des administrations : les premiers ont une urgence, les secondes sont surchargées. En 2013-2014, la Cour administrative a été saisie de 348 nouvelles affaires, dont la moitié concernaient les procédures de protection internationale. À défaut de pouvoir recruter, elles voudraient être désengorgées d’une autre manière. Mais barrer l’accès à ces recours à une catégorie de personnes serait abandonner le principe de l’égalité des citoyens devant la Loi.

josée hansen
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