Plus d’une personne a dû manger un spaghetti sur un coin de table ou un kebab au snack du coin la semaine dernière pour être systématiquement présent aux Rotondes à l’heure. C’est que les Congés annulés atteignaient leur vitesse de croisière et aucun concert n’était à manquer entre mardi et samedi, avec une programmation dense, qualitative et variée dans les styles. Au moment du verdict final, on aura regretté l’un ou l’autre kebab. C’est toujours la même chose, on en a vraiment envie avant, et puis en fait on se dit par après que ce n’était pas si terrible. C’est le lot de ce genre d’événement où les concerts s’enchaînent, il y a toujours les bonnes et les mauvaises surprises. Commençons par les bonnes.
Ought fut l’une de celles-ci. On était curieux de voir comment le quatuor art-rock de Montréal signé sur le prestigieux label Constellation allait défendre sa plaque More Than Any Other Day, un ovni dans la discographie du label. Empruntant autant à Sonic Youth via des dissonances omniprésentes qu’aux Talking Heads, surtout dans la voix nasillarde de Tim Beeler rappelant celle de David Byrne, ils font vite oublier leurs origines canadiennes et nous propulsent à New York le temps d’une soirée. Leur rock est tendu et inventif, non-conformiste, original. Par moments moins captivant, un poil répétitif, mais globalement bien au-dessus de la moyenne.
Si Ought était attendu, il n’en était pas autant de Ghost Culture. Le Londonien a toutefois éclaboussé de toute sa classe le maigre public qui avait renoncé à une table en terrasse, récompensant les plus curieux d’une magnifique prestation tout en légèreté. Vêtu d’une chemise à paillettes et arborant une coiffure au bol, James Greenwood n’en imposait pas au moment de monter sur scène. Une heure plus tard, il aura mis tout le monde d’accord, et c’est dû à un souci technique que le rappel réclamé n’aura pas lieu. Sa musique est magnifiquement ciselée autour de sons analogiques, de basses rondes à souhait et surtout de sa voix cristalline, presque une anomalie qu’a sans nul doute décelé Erol Alkan, DJ bien connu qui n’a pas dû hésiter longtemps avant de le signer sur son label Phantasy. Tout au long du show, James danse sur scène, ne se cache pas derrière une table et un ordinateur mais s’offre au public, augmentant le tempo progressivement et remontant le temps jusqu’à chatouiller des monuments de l’électronique, Caribou d’abord, New Order première époque ensuite. La plus belle réussite des Congés annulés.
À l’inverse, on attendait beaucoup de Wand, surtout après un second album, Golem, garage à souhait, signé sur le label de Ty Segall, In the Red, mais le soufflé retomba vite. On ne sait pas si c’est le jetlag, l’abondance de sauce piquante sur les tacos ou la pénurie d’eau en Californie qui leur a fait perdre l’ouïe, mais le niveau sonore auquel le groupe de Los Angeles a décidé de jouer ne pouvait rien amener de bon. Aussi friand de fuzz que l’on soit, faire saigner les oreilles n’est pas une solution pour convaincre les auditeurs, sauf si on a seize ans et une capillarité abondante, auquel cas on fait du headbanging au premier rang pour rappeler à sa petite amie à quel point on est cool. À ce niveau, le concert a fonctionné au vu des touffes tournoyant devant la scène. Pour ceux qui espéraient retrouver les mélodies entêtantes de Golem, on repassera, celles-ci étant noyées dans des déluges de guitare et de synthé sans queue ni tête. Un set brouillon démontrant un manque de maturité évident.
Autre artiste attendu, Prefuse 73, disparu des radars depuis quelques années nous revient en 2015 avec non pas un mais trois disques, délaissant par là même le mythique label Warp pour Temporary Residence Limited. Nous sommes une nouvelle fois devant un cas de producteur surdoué, auteur de disques ayant marqué une génération de glitchers et de bleepers, mais peinant à reproduire en live la quintessence de sa musique. Planqué derrière son laptop au milieu de rares lumières, casquette vissée sur la tête, Guillermo Scott Herren de son petit nom balança au public des Rotondes une salve d’extraits de ses productions et de samples enchaînés à la va-vite comme s’il passait en revue une liste de mp3 que son pote lui avait envoyée la nuit précédente. Lors de la première moitié du live, il fallait vraiment être féru d’abstract hip hop pour résister à l’appel de la Simon Pils qui nous tendait les bras derrière le rideau. On n’a pas très bien compris la raison de ces enchaînements aussi rapides que déstabilisants, toujours est-il que l’Américain changea son fusil d’épaule à mi-chemin et laissa le public s’installer un peu plus facilement dans son univers. Un concert en demi-teinte.
En marge des concerts classiques, notons également que le régional de l’étape Napoleon Gold s’est produit dans la Rotonde 1 (la grande) afin d’enregistrer sa session Music:LX devenue un classique des Congés annulés. Pour l’occasion, Antoine Honorez était accompagné non seulement de son batteur Jérôme Klein, mais également d’un trio féminin de cordes (violon et violoncelle). L’artiste a confirmé en quelques morceaux qu’il maîtrisait ses sonorités downtempo, l’apport des cordes ajoutant à l’ambiance très cinématographique de sa musique dont les effluves malencontreusement sous-amplifiés se fourvoyaient dans une rotonde semblant bien grande.