Les albums se suivent sans se ressembler chez le label Own Records. Après le (très) dispensable album de Six Twilights, la structure luxembourgeoise renoue avec les sommets. Ce nouveau pic s’appelle Fog Dance, My Moth Kingdom et s’avère être le troisième album de Worrytrain, pseudonyme abritant le musicien américain Joshua Neil Gessler. Semblant avoir déboulé de nulle part, on ne sait pas grand-chose de ce projet existant depuis 2002, tout au plus quelques collaborations éparses sur des bandes originales de films indépendants. Ce Worrytrain construit ses compositions sur un fragile équilibre entre compositions classiques modernes et déflagrations dissonantes electro-noisy, les délires noisy parcimonieusement réduits ici leur portion congrue. Rappelant dans les grandes lignes des artistes en vrac tels que Rachel’s, A Silver Mount Zion, Steve Reich, Arvo Pärt, Sylvain Chauveau, ou encore Labradford, Worrytrain parvient quand même, avec un langage et une instrumentation similaires (pianos, violoncelle, etc., et manipulations électroniques), à se dégager de ces ombrageuses références. Car, une chose est certaine : le bougre est passé maître dans l’art de distiller des atmosphères mélancoliques ou oppressantes sans se départir d’une certaine épure dans ses compositions. Et ce, sans verser dans une démarche pompeuse qui aurait pu plomber l’ensemble ! En effet, dès les premières mesures de piano noyé dans la réverbération, on se retrouve happé par cette musique d’une insondable tristesse. Puis le Celestial police et ses arpéges obsédants se lance dans un crescendo où s’alignent mandoline et violoncelle avant d’être fendu par un saxophone strident qui scinde le morceau en deux avant de repartir de plus belle. Vertige des sens accentué par cette réverbération des claviers qui nous poursuit au travers des méandres compositionnels tout au long de l’album ! La forte cohésion de l’ensemble est soulignée également par les obsessions thématiques récurrentes de Joshua Gessler, tournant autour de la douleur et du Jugement Dernier. Citons-le à ce sujet : « I believe in a world coming to a climax no matter who is awake to see it. But in terms of individual conflicts, it is safe to say that it is always doomsday, somewhere, to someone. » Un petit rigolo en somme, ce Gessler ! Autres preuves à l’appui quant la vision (très) sombre de cet individu, les titres de ces pièces. Quelques morceaux choisis : Ode to faithful kataklysm, Exorcism for cello and malaria, for Auschwitz, ou encore Achtung, God. Bref, le genre d’énergumène que l’on évitera d’inviter à un goûter d’anniversaire ! Mais sans verser dans le sempiternel cliché de l’artiste torturé et pessimiste qui accouche d’une œuvre douloureusement belle et prenante, il faut rendre à César ce qui est à César. En effet, cette troisième plaque de Worrytrain possède un souffle et une profondeur indéniables balayant avec une facilité déconcertante la lourdeur que l’on aurait pu présager à la lecture de ces titres de morceaux si pathétiquement symboliques. La grâce irréelle et l’émotion épaisse comme de la purée de petit pois qui s’en dégagent, nous montrent un être à fleur de peau qui semble avoir trouvé sa manière de réagir face à ses observations des inégalités actuelles de notre société et son éventuel déclin de plus en plus inéluctable. Être, qui en raison de problèmes de santé, ne peut donner qu’un nombre limité de concerts annuels. Attristée devant ce coup du sort, une partie honteuse de nous-même se retrouve, tout de même, égoïstement soulagée devant cette absence forcée, car l’on n’ose imaginer les cataclysmes émotionnels que ce Worrytrain ne manquerait de provoquer lors d’un hypothétique passage sous nos latitudes. Sous ces dehors assez austères, Own Records vient nous proposer ce royaume des mites à portée d’oreille, il serait dommage de ne pas y passer. Car l’apocalypse selon Worrytrain, on en redemande!