Le 12 octobre en début de soirée, est projeté au Kinosch, la salle de cinéma de la Kulturfabrik, le documentaire Clowns de Yves Riou et Philippe Pouchain. On y découvre un siècle d’histoire des clowns en images d’archive, de Little Tich à Grock, aux frères Frattelini, en passant par Popov et Zavatta. On passe aussi par des clowns popularisés par le grand écran, Keaton, Chaplin ou Tati, génies du septième art, mais avant tout, génies du genre clownesque. Après la séance, les allées du centre culturel d’Esch-sur-Alzette se remplissent. Des clowns déambulent et causent sur leur passage fous rires ou malaises. Sept ans déjà que la Kulturfabrik co-organise le festival Clowns in progress, passerelle au Grand-Duché de cette discipline. Souvent présentée comme désuète, la figure du clown cristallise ces derniers temps une attention toute particulière. La dernière adaptation du fameux roman de Stephen King IT, succès colossal en salle, a relancé cet intérêt du clown diabolique, figure éminente du folklore horrifique, source d’effroi pour plusieurs générations d’enfants. Néanmoins, il convient de revenir aux racines, d’étudier plus longuement une différente facette du clown, celle du bouffon source d’amusement et de rêveries. Personnage en marge au nez rouge.
L’apéro est bientôt terminé, dehors un clown vêtu d’une chapka chantonne Another brick in the wall tandis qu’à l’intérieur une autre invite chaque personne présente au bar à faire un pas de danse en sa compagnie. Grande tradition du festival, l’hymne des clowns retentit pour donner le coup d’envoi. Le premier soir donc, la salle de spectacle est pleine pour accueillir les têtes d’affiche du festival Ludor Citrik et le Pollu. Les deux artistes français présentent Ouïe – le sens du son. Cédric Paga, alias Ludor Citrik, apparaît sur scène dans la pénombre, perruque grisâtre et défaite, costume mal taillé et crasseux. Il actionne une étrange machine qui fait des étincelles au fond de la scène. La lumière s’allume, on découvre le décor. Un espace intérieur bordélique comme coupé du reste du monde. Des boites d’œufs vides sont accrochées aux murs, elles comblent les trous et empêchent les sons du monde extérieur d’entrer. D’ailleurs, un gros paquet de boîtes git par terre jusqu’à ce qu’elles s’envolent, soulevées par Camille Perrin, alias le Pollu, qui était caché là. Barbu, imposant et drolatique à souhait, il brûle les planches. Les deux comparses dansent, hurlent, chantent, finissent en sueur, c’est viscéral. Longs au démarrage, ils finissent par chopper le public pour ne plus le lâcher. Ils créent des scénettes improvisées en interceptant les réactions du public, ou encore jouent avec une porte qui les fait passer d’un monde à l’autre. Grâce à un mécanisme, la porte finit par se disloquer totalement d’un coup. Ils sont bloqués dans notre monde, retour à la réalité, silence et applaudissement.
La seconde soirée débute par la projection du documentaire Les Clowns de Federico Fellini. Déjà dans le documentaire projeté la veille, on voyait le plus romain des cinéastes expliquer pour quelles raisons il était si fasciné par ce personnage. Selon lui, le clown est d’apparence misérable, mais puisqu’il fait partie d’un groupe plus ou moins soudé, il est aussi d’une fierté aristocratique. Après le cinéma, le spectacle. Ce soir-là est proposé Bienvenue en Corée du Nord. Sur scène, trois clownesses et un clown, Marie-Laure Baudain, Laura Deforge, Adélaïde Langlois et Alexandre Chatelin. Le concept est le suivant : les quatre clowns ont visité le régime totalitaire par excellence, ils en sont revenus ravis. Avec une fausse naïveté, ils font une ode aux différents leaders et jonglent avec les clichés. La première est une prestidigitatrice qui fait des avances au seul homme sur scène. Celui-ci justement est un chrétien, excité par les justaucorps, la troisième, une maniaque de l’organisation et souffre-douleur de la leadeuse de la troupe. Cette dernière mendie l’attention du public, ouvre une bouteille de champagne, boit au goulot, arrose les spectateurs assis aux premiers rangs avec une fleur lance-eau, embrasse un portrait de Kim Jong-il puis crache dessus afin d’enlever les traces de son rouge à lèvre. Long au démarrage et avec quelques flottements, le spectacle se termine toutefois par un festival drolatique et une explosion de confettis.
Le dernier soir débute mal. Un ciné-concert était prévu avec l’intervention de deux musiciens. Au final, sont simplement projetés trois courts-métrages, un Keaton et deux Chaplin mineurs (dont un en version espagnole). Dehors, les allées ne désemplissent pas. D’ailleurs depuis le premier soir, une série de photographies de Neckel Scholtus est exposée dans la galerie Terres Rouges, Ils sont clowns, elle est photographe, certains y jettent un coup d’œil. Pour clore le festival, est programmé un Cabaret clown. De nombreux artistes se succèdent, plus d’une douzaine, pour des numéros plus ou moins réussis. Les musiciens (dont le violoncelliste André Mergenthaler) sont talentueux. Le retour sur scène de Ludor Citrik et le Pollu ravit les spectateurs, un striptease burlesque assez drôle de femme fatale se conclut par un nu intégral. Le corps dénudé représente le visage d’un clown dont les seins sont les yeux. Les parents cachent la vue des enfants encore lorsqu’à l’arrière de la salle on découvre une femme suspendue à trois mètres de haut, des crochets dans la peau. Performance trash surréaliste qui vaut le coup d’œil. Le spectacle continue alors tandis que le corps continue à flotter pendant quelques minutes. Voyage au bout de l’ennui par contre avec un sketch en quatre actes sur les poils, le génocide des poils, les poils sous les bras et tout ce qui suit. Incompréhension encore avec une interminable berceuse en italien, un gâteau d’anniversaire dont les bougies ne s’éteignent jamais, ou encore une blague douteuse sur Jean Rochefort et Michael Schumacher. Mais après tout, le politiquement incorrect n’est pas un souci en soi.
Agréable, dépaysante mais irrégulière, la septième édition du festival Clowns in progress a fait salle comble. Preuve en est que le public cherche aussi bien à s’amuser qu’à se faire du mal. L’indifférence est la pire des choses et force est de constater que si à défaut de nous faire rire, le clown peut nous fait peur ou bien pitié, bref il nous procure des émotions. Et ainsi le pari est gagné.