L’économie numérique est un secteur phare en termes de productivité et la Commission européenne veut s’appuyer sur celle-ci pour relancer la croissance dans l’UE. Cependant, bien qu’il représente un chiffre d’affaires de 660 milliards d’euros par an, ce secteur économique est entravé par sept obstacles principaux. C’est ce que la Commission européenne a exposé mercredi 19 mai dans son « Agenda numérique » pour les cinq prochaines années.
Ces obstacles consistent en : un marché trop fragmenté en différents marchés nationaux, un manque de compatibilité entre technologies et normes, une hausse de la cybercriminalité, une faiblesse des investissements dans les nouveaux réseaux Internet à très haut débit, des lacunes informatiques chez de nombreux Européens, une sous-utilisation des technologies dans les grands défis sociétaux (vieillissement, changement climatique) et une insuffisance de la recherche et de l’innovation. « Le marché intérieur a besoin d’une mise à jour fondamentale pour entrer dans l’ère numérique », explique la Commission qui détaille les mesures à prendre. La première des priorités de la Commission porte sur le développement des infrastructures haut débit. Elle veut en effet, que « d’ici à 2013, 100 pour cent des citoyens européens aient accès à Internet haut débit de base » et plus ambitieux encore, elle souhaite développer le très haut débit (au-dessus de 100 Mgbs), notamment grâce à la fibre optique. En 2009, l’UE n’affichait que 1 p.c. de pénétration de la fibre optique, contre 2 aux États-Unis, 12 au Japon et 15 en Corée du Sud. « D’ici à 2020, 50 pour cent des foyers européens devront pouvoir bénéficier d’un abonnement au très haut débit ». Cet accès Internet devra aussi s’effectuer à travers les mobiles, mais cela nécessite d’harmoniser les normes techniques et de trouver un accord dès 2010 entre le Conseil de l’Europe et le Parlement européen sur un meilleur partage des fréquences mobiles. Autre urgence pour l’UE, « la réduction de la fracture numérique ». Ainsi, d’« ici à 2015 l’usage de l’Internet devra passer de 60 à 75 pour cent, tandis que ce dernier devra évoluer de 41 à 60 p.c. des personnes les plus défavorisées ». Il convient de « réduire de moitié la proportion de la population n’ayant jamais utilisé l’Internet ». Pour un meilleur accès aux services publics, l’objectif est que la moitié des citoyens européens utilisent l’e-gouvernement.
Mais la grande ambition du programme est de construire enfin un marché unique du numérique. Avec deux axes majeurs, l’e-commerce et les tarifs télécoms. L’objectif est de préciser et d’encadrer les règles de l’e-commerce pour les Européens. La cible est que 50 pour cent de la population devra pouvoir accéder à la vente en ligne d’ici à 2015, en développant davantage les achats en ligne transfrontaliers tout en garantissant le respect des droits de consommateurs. Concrètement, la Commission devra compléter la directive des droits du consommateur de dispositions permettant d’harmoniser le droit des contrats, harmoniser les systèmes de taxation des services on line, réactualiser la directive concernant l’e-commerce et permettre la résolution des conflits en matière de transaction on line. Par ailleurs, d’ici à 2013, des recommandations devront être faites pour lutter contre la cybercriminalité. Il est recommandé de moderniser le cadre juridique concernant les données personnelles, exercice revenant à la commissaire luxembourgeoise Viviane Reding (Justice et Droits fondamentaux), nécessaire pour renforcer la confiance des consommateurs dans le commerce numérique.
Autre grand pilier de l’agenda de la Commission, la réalisation d’ici à 2015, d’un seul marché des services télécoms, ce qui concrètement signifie que « la différence de tarifs entre les appels depuis l’étranger et ceux depuis son propre pays devrait tendre vers zéro ». C’est un vaste dossier qui devrait satisfaire les Européens, qui de plus en plus nombreux voyagent dans l’Union, mais pas les opérateurs télécoms, qui s’assurent encore de confortables profits sur ces appels en roaming. En outre, la Commission veut s’attaquer au contenu diffusé par les technologies numériques et aux barrières commerciales qui freinent l’achat de la musique en ligne dans l’UE, en adaptant la gestion des droits d’auteur aux progrès technologiques. Partant du constat que « les consommateurs peuvent acheter des CD dans n’importe quel magasin, mais sont souvent dans l’incapacité de faire la même chose sur Internet parce que les licences d’exploitation sont vendues sur une base nationale », elle fera une proposition de directive sur la gestion collective des droits en 2011 et complétera la législation européenne sur l’audiovisuel avec un projet de directive facilitant la vie des services de médias en matière de droit d’auteur en 2012. Elle avancera, dans cette même année, des options pour créer des licences paneuropéennes. Ces sujets sont sensibles et sont de ce fait à l’origine de polémiques virulentes.
Enfin, la condition sine qua non de ce très ambitieux programme est de favoriser la recherche et le développement dans les technologies de l’information, l’exécutif européen envisage dès lors de doubler les investissements publics afin qu’ils atteignent 5 milliards d’euros par an.
Plusieurs associations de défense du logiciel libre se sont élevées contre le fait que toute mention faisant référence à sa promotion ait disparu.Ainsi la Quadrature du Net conteste cette non-ouverture vers les standards du Libre en voyant là un « lobbying appuyé de la part des éditeurs de logiciels sur la Commission européenne ». Dès lors, la crainte est de voir se développer uniquement des solutions basées sur le système propriétaire, avec « des conséquences désastreuses sur l’innovation et la concurrence sur Internet ». L’association de la promotion et la défense du logiciel libre, April, déplore aussi cette disparition, « résultat d’un lobbying intense du secteur du logiciel propriétaire, qui base ses rentes sur le contrôle et la fermeture. Les standards ouverts sont particulièrement essentiels à la sécurité et la pérennité des systèmes d’information européens. Leur disparition de l’agenda numérique est une régression vis-à-vis d’une société de l’information européenne compétitive, innovante et ouverte, qui permette l’intégration de tous dans le marché européen », a déclaré Frédéric Couchet, délégué général d’April.