Nul n’est prophète en son pays ! Ainsi, Jérôme Reuter et son projet solo, Rome, connaissent plus qu’un succès d’estime en Europe du Nord tandis qu’ici, ce patronyme ne circule que dans certains cercles autorisés. Ainsi ce Mensch Masse Material est la troisième et dernière sortie de Rome sur Cold Meat Industry, label suédois spécialisé dans des genres musicaux déviant de l’industriel et aussi guillerets que le dark ambient, le death industrial, la musique bruitiste, le dark folk ou le néoclassique et qui héberge certains groupuscules musicaux à l’orientation politique plutôt « tendancieuse ».
Dans cette optique, il serait facile de ne voir en Rome qu’un trublion se drapant dans la provocation fascisante tant les samples utilisés et l’ambiance dégagée se placent sous le sceau d’une obsession pour une version martiale de l’impérialisme aussi dangereux que fascinant. Nous éviterons ce raccourci réducteur, mais nous ne saurions démentir une trouble ambiguïté palpable tout au long du disque faisant preuve d’un romantisme pour le moins, morbide. Comme en témoignent les titres des morceaux, en allemand, pour des textes chantés en anglais qui renvoient à une imagerie décrite plus haut, mais également teinté d’anarchisme très fin de siècle. Le tout donne une patine anachronique, un peu figée à l’ensemble, surlignée par une production, surchargée en réverbération, élément archétypal des gothiques années 80.
Passé une introduction qui renvoie à un ambient pas très éloigné de Popol Vuh, on entre dans le vif du sujet avec Der Brandtaucher, plongée darkwave aux tambours martiaux. En fait, la voix caverneuse et (trop) réverbérée de Reuter pèse sur ses compositions, en accentuant le relief contenu en elles à la manière de probables modèles vocaux que sont Ian Curtis, Nick Cave et Leonard Cohen.
Ce faisant, il en accentue drastiquement le pathos théâtral et ce parfois jusqu’au grotesque… Suit Das Feuerordal ballade gothique au souffle très années 1980. Ces deux morceaux illustrent à merveille l’approche de Reuter, tiraillant entre ces modes de composition, les entrelaçant des paysages sonores soit apaisants comme sur Sonnengötter, soit apocalyptiques et malsains comme sur Nachtklang. Seule exception à cet implacable mode opératoire, Die Brandstifter bateau ivre aux allures de cabaret brechtien aux cuivres appuyés. L’optimisme n’a certainement pas sa place ici, où tout n’est que noirceur et défaitisme sur des rythmiques au mieux martiales mais guère enjoués.
Ce Masse Mensch Material est d’une cohérence qui fait froid dans le dos et devrait connaître dans les milieux friands des sous-genres mentionnés en début d’article qui affectionnent ces exercices mortifères et, à nos yeux légèrement datés, une certaine reconnaissance tant le dosage des ingrédients est respecté. Fans de Death in June, Fields of the Nephilim, Christian Death, mais aussi des Sisters of Mercy, The Mission voire des premiers Cult et autres ruez-vous sans arrière-pensées sur ce nouvel opus de Rome. Quant aux autres, il faut pouvoir passer et accepter l’écueil de cette ambiance particulière et un peu datée !