Le boom du secteur de l’accueil des enfants – crèches, maison-relais, assistance parentale – a été fulgurant ces dernières années, le nombre de places a littéralement explosé. Il est passé de 7 712 places en 2004 à 32 342 l’année dernière. Et ce n’est pas fini. Le Premier ministre a encore promis, lors de sa déclaration sur l’état de la nation, la création de 8 000 nouvelles possibilités d’accueil mettant les services du ministère de la Famille sous une énorme pression. Surtout que les sommes engagées le sont aussi : le budget grimpera à 185 millions d’euros en 2012 contre 140 cette année.
L’initiative présentée mardi par la ministre de la Famille, Marie-Josée Jacobs (CSV), du site Internet qui permet aux utilisateurs de voir un peu plus clair dans ce fouillis des structures d’accueil est certes louable et évite aux parents, en quête d’un moyen de faire garder leur enfant, d’effectuer des démarches inutiles. Or, les données répertoriées sur le site proviennent des crèches et foyers eux-mêmes et n’ont pas été vérifiées par les pouvoirs publics. Il s’agit donc aussi d’un moyen supplémentaire de communication et de publicité commerciale.
Car si l’augmentation des services d’accueil a surtout été rendue possible par le soutien massif des deniers publics, par l’introduction des chèques-service notamment et le cofinancement par l’État des infrastructures, c’est le secteur privé qui en a le plus profité. Ces deux dernières années, les places dans les foyers de jour, crèches et garderies commerciaux ont augmenté de 87 pour cent, tandis que la progression a été de 0,8 pour cent dans les structures conventionnées. En 2009, les deux formules affichaient encore à peu près le même nombre. Aujourd’hui, le secteur privé en est au double. Doit-on en déduire que la main publique est en train de se retirer ou du moins de laisser cette part de marché aux bons soins du secteur privé ? Il est clair que pour réaliser les volontés politiques, le ministère de la Famille dépend de ce secteur, car les retards accumulés en matière de garde d’enfants ont été trop importants ces dernières décennies pour que le secteur public défaillant puisse réagir aussi vite et aussi massivement.
En pratique, les agréments ministériels sont donnés sur présentation des plans. Le ministère se contente de vérifier si la surface des crèches et le nombre de personnel qualifié correspond aux minima légaux. Cependant, pour éviter toute tromperie sur la marchandise provoquée par l’appât du gain, on s’attend quand même à ce que quelqu’un du ministère se rende dans ces structures et y passe quelque temps, fasse des contrôles d’hygiène, soulève les couvercles des casseroles et vérifie la fréquence de changement des couches culottes. Or, un tel contrôle de la qualité de la prise en charge des enfants n’existe pas. C’est aux parents de rester vigilants, car ils sont les seuls responsables de leurs gamins. Cela fait d’ailleurs partie du message que leur répète la ministre : nous sommes là pour vous encadrer et vous aider financièrement, pour le reste, c’est à vous de jouer.
En réalité, ça se passe autrement, les parents n’ont pas le droit de fouiner sur place et ils doivent le plus souvent se contenter des informations du personnel et lui faire confiance, ils n’ont pas le choix. D’autant plus que le lien de dépendance et le déséquilibre des rapports de force sont bien réels, aussi longtemps que l’offre des places est inférieure à la demande. Il est donc légitime d’attendre un minimum de contrôle de la part des pouvoirs publics.
Or, au ministère, on a décidé de faire confiance et on souhaite tout au plus encourager le secteur à élaborer une charte, à s’autoréguler et à formuler des concepts. La ministre a évoqué l’idée d’un label de qualité, mais rien de concret. Tout va en direction d’un pacte de non-agression entre les pouvoirs publics et le secteur privé, où l’un tient l’autre par la barbichette.