Deux ans après le vote de la loi relative à l’aide à l’enfance et à la famille, son coup d’envoi se fait toujours attendre. Le lancement de la nouvelle administration du ministère de la Famille, l’Office national de l’enfance (ONE), et la concrétisation du concept d’aide individualisée aux enfants, jeunes et familles en détresse avaient été annoncés pour début 2011, mais la mèche est mouillée. Car les sept règlements grand-ducaux d’exécution de la loi ne peuvent pas trouver application tant que le Conseil d’État ne les aura pas avisés, comme le précise le chargé de direction de l’ONE Jeff Weitzel, contacté par le Land. La ministre de la Famille, Marie-Josée Jacobs (CSV) les lui a transmis pour avis en juillet 2010.
La Chambre des salariés (CSL), par exemple, est tombée sur un os et pense que les projets de règlements grand-ducaux sont illégaux, car ils n’auraient pas de base légale. La loi-cadre de décembre 2008 n’aurait pas prévu de renvoi à ces règlements grand-ducaux. Il faudrait donc d’abord la changer pour pouvoir avancer. Par principe, la CSL est d’avis qu’il est « malsain au regard de la lisibilité et de la transparence des textes de loi d’avoir systématiquement recours à des règlements grand-ducaux qui échappent au contrôle du Parlement et permettent ainsi au gouvernement de les modifier à tout moment à sa convenance. » Au Conseil d’État donc de trancher la question.
Car effectivement, les projets de règlements concernent toutes les étapes de l’agencement du processus d’aide à l’enfance, que le CSL critique d’ailleurs comme étant « une procédure très lourde ». Il s’agit de l’organisation et du fonctionnement de l’ONE – qui travaille avec un effectif de cinq personnes –, des agréments réglant les relations entre l’État et les organismes œuvrant dans les domaines social, familial et thérapeutique, la reconnaissance comme service d’aide sociale à l’enfance et les services de coordination de projets d’intervention de cette aide. Un troisième règlement concerne l’agrément à accorder aux gestionnaires d’activités pour enfants, jeunes adultes et familles en détresse – les institutions et foyers ne seront plus considérés en tant qu’entités, mais en tant que prestataires de services. Ensuite, l’agrément pour les personnes physiques ou morales qui exercent une activité de consultation, de formation, de conseil, de médiation, d’accueil et d’animation pour familles. La formation requise, le financement des mesures d’aide (selon des forfaits journalier, horaire et mensuel) et le fonctionnement du Conseil supérieur de l’aide à l’enfance et à la famille figurent aussi sur la liste des projets de règlements à aviser. Ce texte aura pour mission d’évaluer les besoins. En matière de financement, les parents seront dorénavant priés de contribuer pour financer les mesures d’aide qui les concernent, c’est nouveau. Les services scolaires devront coopérer de façon obligatoire. Cinquante millions d’euros sont prévus pour faire fonctionner l’aide.
Le gouvernement part du fait que quelque 2 000 à 2 500 enfants et jeunes pourront être concernés par les nouvelles mesures. Il s’agit surtout de prises en charge préventives des enfants et familles en détresse, qui devront donner leur accord aux projets socio-éducatifs et psychosociaux qui les concernent. C’est la différence fondamentale avec les mesures judiciaires qui sont décidées par un juge de la jeunesse et imposées aux personnes concernées. « La première visée de la loi est de trouver des alternatives avant de recourir au placement judiciaire, précise Jeff Weitzel, nous nous attendons à une diminution à moyen terme. »
En attente du lancement concret des nouvelles procédures et l’introduction des mesures « volontaires » d’aide prévues par la loi et les règlements grand-ducaux d’application, les députés de la commission juridique planchent en ce moment sur le projet de loi sur la protection de la jeunesse, déposé en 2004. « Il s’agit là de l’autre côté d’une même médaille, explique Jeff Weitzel, en plus de l’aide volontaire, le texte sur la protection de la jeunesse concerne l’aide sous contrainte, qui sera aussi financée par l’ONE et qui nous concerne donc également. »
Or, le Conseil d’État et l’ORK, l’Ombudscomité pour les droits de l’enfant ont tendance à ne plus tellement y croire, à ce fameux « système protectionnel » qui, selon le crédo des politiques, aurait « l’avantage d’offrir une grande flexibilité aux autorités amenées à intervenir et de prévoir à la fois protection et sanction du mineur dans une procédure offrant par ailleurs toutes les garanties de l’État de droit ». C’est pour cette raison que le gouvernement s’est borné à aménager quelques aspects de la loi sur la protection de la jeunesse de 1992. Or, il ne s’en donne pas les moyens, maintient le Conseil d’État en rappelant que « la meilleure loi ne sert en effet à rien si les acteurs n’ont pas la possibilité de l’appliquer », tout en avançant l’exemple des enfants incarcérés au centre pénitentiaire. Il propose en outre de suivre les recommandations de l’ORK d’adapter la procédure d’appel en matière de la jeunesse.
En attendant que le Conseil d’État s’attèle aussi à l’analyse des règlements grand-ducaux en matière d’aide à l’enfance, côté face de la médaille, le secteur social continue à œuvrer selon le statu quo, via des conventions de transition avec le ministère de la Famille.