Le travail au noir est devenu en quelques semaines le nouvel épouvantail des organisations patronales. Hausse de la TVA dans les cafés ? Un incitatif au travail au noir, rétorque l’Horesca. La fin des exonérations fiscales pour les résidences secondaires ? Une porte dérobée à l’économie parallèle, rétorque la Chambre des métiers.
Le Statec intègre depuis 2006 les activités souterraines, légales en soi, mais non déclarées au fisc, dans son calcul de la valeur ajoutée produite par les différents secteurs. Sans toutefois avancer de chiffre global sur la part qu’occupe l’économie non-déclarée dans le PIB. Pourtant, des estimations circulent. Ainsi, l’économiste Friedrich Schneider, beaucoup cité par les médias et conférencier régulier de Visa – la firme des cartes de paiement ayant un intérêt à mettre le travail au noir, souvent réglé en cash, sur l’agenda politique –, avance le chiffre de huit pour cent pour le Luxembourg. Loin derrière la moyenne européenne, qui serait, elle, toujours d’après les calculs de Schneider, de 18,5 pour cent.
De l’avis de François Koepp, secrétaire général de l’Horesca, le travail au noir serait en recul, surtout depuis que, l’année dernière, le ministre du Travail Nicolas Schmit (LSAP) a régularisé 512 travailleurs clandestins, dont une large partie était constituée de Chinois travaillant dans la restauration. Le secrétaire général de la Chambre des métiers Tom Wirion rapporte pour sa part que les chefs d’entreprise du secteur de la construction auraient noté que, sur ces dernières années, la demande des clients pour du travail au noir aurait été « quasi inexistante ».
Pour mesurer les écarts par branche, le Statec a élaboré ses propres méthodologies. « Il ne peut y avoir ni disparition ni production miraculeuses, explique John Haas. Le PIB de la production et des importations doit être strictement égal au PIB de la consommation et des exportations. Un trou signifie soit que nous nous sommes trompés dans nos calculs, soit qu’il y a eu fraude. » Dans le secteur du bâtiment, le Statec compare les prix à la vente au mètre carré des immeubles construits par des promoteurs à ceux dont les maîtres d’œuvres sont des personnes privées et dont le chantier dure en règle générale plus longtemps. L’hypothèse étant que ce retard serait dû à une manière de construction moins onéreuse et plus… informelle. De cette comparaison, le Statec déduit un facteur d’ajustement de quelque dix pour cent (en recul de quatorze pour cent entre 2002 et 2008). C’est une estimation basse. Chez nos voisins belges, le taux de travail au noir dans le bâtiment tourne autour de 23 et en Autriche autour de vingt pour cent.
Mais peut-être que le plus grand casse-tête pour la comptabilité nationale, ce ne sont pas les recettes sous-déclarées ou camouflées, mais les quelque 50 000 Soparfi. Une structure holding par laquelle transitent des milliards, mais qui n’embauche qu’une secrétaire, quelle valeur ajoutée crée-t-elle sur le territoire luxembourgeois ? « Si on ne fait pas attention, on risque de gonfler notre PIB à l’infini », dit Haas. C’est un travail gigantesque. Nous devons nous interroger à chaque fois : Derrière les chiffres d’affaires déclarés, se passe-t-il réellement quelque chose ? » Le Statec a opté pour une approche par les coûts : salaire, ordinateur, factures de téléphone et loyer. Une Soparfi qui pèse des milliards en chiffres d’affaires contribue donc moins au PIB qu’un Bopebistrot au fin fond de l’Ösling. C’est dessoûlant.