Voilà un recueil de nouvelles bien gentillet. Le titre, Tourments, que Jean-Michel Gaudron et Franck Lamaison ont choisi de donner à leurs vingt nouvelles (dix chacun), met d’abord l’eau à la bouche, tout comme la quatrième de couverture : « Coups du sort ou coups de dés… Dans les paysages les plus surprenants comme les plus familiers, le scénario de la vie emprunte parfois des chemins inattendus, tortueux. » Le lecteur devrait, en toute légitimité, pouvoir s’attendre à des récits ouvrant des perspectives intéressantes sur les vicissitudes da la vie. Mais si nous parlons tant de la couverture de ce petit livre, c’est qu’il vaut mieux ne pas s’aventurer au-delà.
Dès les premières phrases, toutes les attentes sont déçues et le style propret d’un bon élève de deuxième arrache un nombre inconcevable de bâillements. Mais quels sont ces tourments dont veulent nous parler les auteurs ? La fuite du temps, la vieillesse, la mort (logiquement), l’amour, le quotidien, la routine… Autant de sujets intéressants qui sont ici réduits à autant de clichés insoutenables.
Quand Jean-Michel Gaudron, dans la nouvelle « Enraciné », raconte l’histoire d’un arbre qui a survécu à trois siècles d’agitation et de carnage avant d’être arraché par deux cyclones consécutifs, le lecteur en a presque les larmes aux yeux. Mais le questionnement philosophique sur la vanité des choses et le progrès de l’humanité que ne manque de susciter une telle histoire, n’est rien d’autre qu’un amas de lieux communs que le bon élève de deuxième, évoqué plus haut, ne se serait jamais permis : « Majestueux et noble, l’arbre, lui, profondément enraciné dans sa terre natale, cloué au sol et, ainsi, privé du mouvement de la liberté, traversa le temps dans la sérénité et la sagesse. » Évidemment, les arbres sont toujours majestueux, nobles, sereins et sages, mais aussi, nouvelle déconcertante, privés de la liberté de mouvement.
Parfois, le lecteur peut avoir l’impression que la naïveté des raisonnements a comme but de l’attendrir, par exemple cette conclusion de « Coups de dés », la sixième nouvelle de Jean-Michel Gaudron : « Six destins que rien ne destinaient à se croiser. Trois rencontres improbables. Trois manifestations malicieuses du hasard, qui fait, paraît-il, si bien les choses. Est-ce tout le temps vrai ? Faut voir. » Ô lecteur incrédule, arrête de te frotter les yeux, ce n’est pas un rêve, ce n’est pas non plus la bande d’annonce d’une énième comédie hollywoodienne où de tels propos n’auraient rien d’étonnant, c’est en effet un recueil de nouvelles et il est plus cher qu’un billet de cinéma.
Les dix nouvelles de Franck Lamaison n’ont rien à envier à celles de Jean-Michel Gaudron quant au style. Trop recherché, pas assez incisif. C’est dommage, car ses analyses très justes de la monotonie et de la routine dans lesquelles s’enlisent les couples ou sa description pertinente d’un monde du travail cruel et impitoyable, sont incompatibles avec cette écriture doucereuse : « Je soupire au milieu de la cohue. La Défense, heure de pointe. Je dois tout ranger, sortir du flot continu de consommateurs et autres travailleurs irrités, passer à Nanterre chez le chinetoque préféré de Cathy, et enfin rentrer. Le tout en voiture et à la même heure que tout le monde. »
Le lecteur ne peut que soupçonner l’agressivité latente de l’heure de pointe dans une métropole. Il y a des choses que seul le style peut faire comprendre, l’explication fastidieuse, surchargée d’adjectifs et d’adverbes, ne fait qu’affadir un récit : « Dans le sombre du lieu, j’avais du mal à distinguer les choses. Tout était flou, dans le brouillard nauséabond et la cohue effective, mais invisible. Quelques formes incertaines permettaient les doutes les plus déséquilibrants quant à notre localisation comme à la rationalité de la situation. » C’est ainsi que commence « Les abominations insoupçonnées de l’homme », la treizième nouvelle du recueil où l’auteur essaie de faire monter la tension pour préparer la pointe inattendue de ce récit, mais ce premier paragraphe quelque peu maladroit et encombré ne sert pas ses intentions.
Le seul tourment véritable auquel le lecteur est confronté en lisant ce recueil qui ne porte pas bien son titre, c’est celui de la lecture.