Faire de ses doutes et réflexions sur son métier le sujet de son expression artistique est un thème récurrent dans tous les arts depuis un siècle – et plus particulièrement de la littérature luxembourgeoise. Or, depuis que les plasticiens avaient décomposé la toile et son cadre pour ne garder de l’œuvre que son concept, puis passé la fin du vingtième siècle à interroger leur place dans l’institution muséale, on se lasse un peu de ces thématiques stériles en vase clos, alors que le monde extérieur s’embrase. Mais voilà que les acteurs luxembourgeois s’y mettent aussi, partageant avec le public leurs répétitions, leur quête de l’interprétation la plus juste, la plus vraie, la plus sincère possible, L’année dernière, Anne et Pitt Simon avaient invité à une telle séance analytique pour Simon Says, Simon Yells au Mudam. Cette saison, c’était au tour d’un autre duo, le jeune Jérôme Konen, dont c’était la première mise en scène, et l’actrice rôdée mais pas moins dubitative Valérie Bodson, qui, avec Le rôle qui je suis, repris en début de semaine à la Kulturfabrik à Esch, nous faisaient participer à leur processus de création.
Le personnage en question est Médée d’Euripide. Comment interpréter cette femme meurtrie, vengeresse et ...meurtrière de ses propres enfants ? Comment la jouer aujourd’hui ? Une actrice, sobre, en jean et t-shirt blanc, essaie de comprendre le texte, de se l’approprier, d’en saisir toutes les dimensions. Mais comment dire cet « Hélas, je souffre ! » sans être pathétique ? Pour évoluer, l’actrice essaye de se souvenir d’autres grands rôles de femmes qu’elle a joués dans sa carrière : Les sorcières dans Macbeth de Shakespeare, la Cate de Sarah Kane, Mère Courage de Bert Brecht ou la Nora d’Ibsen dans La maison de poupée. Toutes ces femmes luttent pour vivre, ne veulent être ni putes, ni soumises, mais sont souvent réduites à ces rôles dans leurs vies difficiles d’épouses et de mères.
Sans la légèreté et la présence irradiante de Valérie Bodson, la pièce composée par Rafael Kohn aurait pu devenir du lourd, du pathétique, la pièce idéale pour une heure de mauvaise conscience à programmer le 8 mars pour la Journée internationale de la femme. Sans ces poupées gonflables encombrantes, qui sont juste vulgaires (ça fait très jeune metteur en scène qui veut briser des tabous, voyez comment j’ose transgresser les codes...), elle aurait pu être encore plus abstraite, plus juste. Time to move on.