Thomas Hirschhorn au Palais de Tokyo à Paris

Dans la démesure de Thomas Hirschhorn

d'Lëtzebuerger Land vom 27.06.2014

D’abord, on suit l’odeur des pneus. 18 500 en tout. Un matériau pauvre, brut, qui en plus est un déchet – parfait pour structurer ce gigantesque espace qu’est le sous-sol du Palais de Tokyo, estime Thomas Hirschhorn. L’artiste suisse, dont le public luxembourgeois connaît le World Airport qui fait partie de la collection du Mudam, et qu’on a pu rencontrer lors d’un Art workshop du Casino Luxembourg il y a quelques années, a été invité à occuper ce ventre du centre d’art contemporain durant 52 jours. Et durant presque deux mois, du 24 avril au lundi 23 juin, il y était tous les jours, à accueillir les philosophes, auteurs ou musiciens invités – ils étaient plus de 200 en tout ! –, à aller à la rencontre du public, tenir salon ou réaliser le journal quotidien polycopié qui reprend des textes lus sur place, des essais, des concepts, des images.

Au Palais de Tokyo, Hirschhorn se fait démiurge, insatiable, toujours à la recherche de pensée nouvelle, de confrontations d’idées et d’esthétiques. Son concept pour Flamme éternelle, qu’il appelle « situation » plutôt qu’exposition, se base sur quatre piliers : présence (la sienne, celle des artistes et celle du public), production (d’échanges, de textes, d’amitiés), gratuité (parce que le public doit venir passer du temps, s’y sentir à l’aise) et non-programmation (il faut se laisser surprendre par l’offre du moment). Après avoir « suivi les pneus » comme le dit la pancarte à l’entrée, le spectateur se retrouve assez vite dans un dédale de murs faits de pneus, débouchant sur des îlots thématiques : coin télé où on peut regarder des DVDs, rédaction du journal, petites agoras où se produisent auteurs, performeurs, musiciens, dont deux autour de ces flammes éternelles qui ont donné le titre à l’exposition (le combustible en étant les idées produites sur place), un bar, une bibliothèque, un espace internet, un coin bricolage invitant les spectateurs à créer des objets eux-mêmes. Joyeusement foutraque, toujours dans cette esthétique de l’accumulation et avec les matériaux pauvres qu’affectionne tant Thomas Hirschhorn – ah, les canapés entièrement recollés de tape marron ! –, cet univers underground avait une énergie et une générosité contagieuses. Pour l’artiste, le partage implique aussi le partage du risque.

C’est pourquoi les calicots revendicatifs, les pancartes et les slogans qui ornent le plafond par exemple n’ont pas de fin : « Anonymous !! We are legion. We do not forgive. We do not... » ou « Il faut avoir une parfaite conscience de ses propres limites. Surtout si on... » ou, plus loin, « Nos vies valent plus que... » – Au spectateur de compléter pour lui-même. Flamme éternelle, c’est L’esthétique relationnelle de Nicolas Bourriaud après le mouvement Occupy. Mais c’est aussi comme une matérialisation d’Internet – tout se noie dans l’insignifiance du anything goes – ou, dans ses pires moments, comme un Facebook analogue : donne un espace d’expression aux gens, et la première chose qu’ils font, c’est dessiner des zizis et publier des selfies.

L’exposition s’est terminée lundi, 23 juin. Les archives peuvent être consultées sous www.flamme-eternelle.com.
josée hansen
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