La première semaine est passée, et déjà au moment d’écrire ces lignes, les surprises n’ont pas manqué, les beaux buts non plus, et bien sûr que les commentaires sont allés bon train sur telles décisions arbitrales, il est vrai qu’il y en eut de contestables. Moins que pour les coupes du monde antérieures, ou pour les championnats d’Europe, l’art s’est trouvé mêlé aux joutes autour du ballon rond ; il y a en ce moment moins d’expositions qui portent sur le football, ou plus largement le sport. Question d’argent sans doute qui fait défaut aux institutions, car de telles expositions coûtent cher ; on ne peut guère puiser dans les propres fonds, il y a les frais de commissariat, de transport, d’assurance, et puis peut-être qu’on a pensé aussi que tant de choses avaient déjà été dites…
Pas étonnant donc qu’on soit renvoyé à ses souvenirs, qu’on s’y raccroche, d’autant plus qu’il y en a qui ont été bien rafraîchis. Et nous nous limiterons à deux vidéos, bien différentes dans leur démarche, et montrant des aspects du football on ne peut plus opposés de même. Elles sont toutes deux passées par Venise, datent d’une dizaine d’années ou plus, tant pis.
C’est à la biennale de 2001 que l’artiste germano-suisse Ingeborg Lüscher a montré sa vidéo Fusion, avec des joueurs professionnels des Grasshoppers Zürich et du FC St Gallen (le club dont Jeff Saibene est aujourd’hui l’entraîneur), tous dans des costumes de haute couture italienne, se livrant pourtant à des duels, bien que les tacles ne soient pas trop appuyés. Le contraste reste vif, des cravates et des chaussures à crampons. Les lois du jeu ne sont pas toujours respectées, il arrive à Urs Meier de siffler un penalty, et la célébration du but se fait, à défaut de tricot, en enlevant en en faisant virevolter le veston. Quant à l’indispensable outil, le ballon, voilà qu’il est mué en portable, voire en coffre plein de billets de banque.
Eine Parabel für die Managerkaste, expliquait Ingeborg Lüscher, allant jusqu’à faire allusion pour la fin du match aux fusionnements, et si le résultat est incertain, il est certainement un gagnant. Bazon Brock a touché juste dans son commentaire, et relevé en cela l’intérêt artistique : « Sie setzt nicht, wie üblich TV-Journalistesn, die Kritik an der Verlogenheit des Sports als längst kommerzialisiertes Unternehmen mit hochbezahlten, aber rechtlosen Arbeitssklaven fort ; sie fusioniert die sozialen Verhaltensformen im Sport, im Kommerz, im Kriegerkampfbund… »
Voilà pour le football d’en haut si l’on veut. L’autre vidéo, revue l’autre jour au museum moderner kunst, à Vienne, dans l’exposition personnelle de Josef Dabernig, avec sa part de charme quasi suranné, de nostalgie donc, en a avec un tout autre football. Plus exactement, elle le suggère, le fait vivre quand même d’une certaine façon, du bord de la touche, du banc des entraîneurs. Et l’ironie, sans aucune méchanceté, n’en est pas absente.
Comme dans telles de ses autres vidéos, Josef Dabernig, dans Wisla, nous emmène dans un monde, une réalité qu’il retrouve encore intacts d’une certaine façon en passant la frontière de l’est. En l’occurrence, le match est censé se jouer dans le stade du même nom, à Cracovie ; toutefois, nous n’en voyons rien, il n’est pas sûr qu’il y ait vraiment un match. La caméra nous fait voir seulement deux entraîneurs, deux hommes qui passent du moins pour tels, assis plus tranquillement que ce qu’on a l’habitude de constater, sur leur banc. L’un d’eux se lève des fois, esquisse juste un geste pour avoir l’air de donner ses instructions.
Il y a match quand même, mais pour l’oreille seulement. Et en parfaite discordance avec l’image ; c’est la retransmission d’une rencontre du championnat italien dans le stade d’Udine. La logique, conséquemment, dans cette confrontation des bandes son et image, aboutit à un match nul, aucun but ne semble avoir été marqué.
Il faut insister pour conclure sur une caractéristique de l’art de Josef Dabernig, présente d’un bout à l’autre de son exposition. Cet homme est un esprit très ordonné, ce qui ressort déjà de l’agencement de l’exposition qu’il a assuré lui-même. Et en même temps, contrecarrant cette rigueur, il existe son penchant du grotesque. Côté football toujours, il a collectionné les billets d’entrée des matchs auxquels il a assisté ; et très systématiquement, toujours du même point de vue, à partir du milieu, il prend en photo les terrains, de préférence à la limite des villes et des villages. Sans qu’il y ait bien sûr le moindre joueur. « Es ist wie die präzise Konstruktion des Nichts : sehr genau als Form und sehr offen in der Bedeutung. »