Les commerçants luxembourgeois commencent à réagir aux applaudissements du gouvernement, enthousiasmé à l’idée d’orner le nouveau stade de foot par un mastodonte commercial à Livange. La Confédération luxembourgeoise du commerce (CLC) vient de remettre un avis au gouvernement et aux décideurs locaux dans lequel elle réfute point par point les arguments avancés pour promouvoir ce projet (d’Land du 19 mars 2010). D’abord la création d’emplois. Le ministre de l’Économie Jeannot Krecké (LSAP) croit à la promesse de 2 000 nouveaux postes. Or, vu la spécificité de ce centre outlet – comparable à un discount non-alimentaire où la main d’œuvre est limitée au strict nécessaire – un poste de ce type-là en détruirait deux à trois dans les commerces traditionnels. La CLC s’appuie sur « plusieurs études, réalisées dans plusieurs pays », pour justifier ces chiffres, sans toutefois préciser ses sources. En plus, comme le magasin Brico n’est rien d’autre que le magasin Gamm Vert, transféré de la Cloche d’Or vers Livange, il est plus probable que le personnel le soit aussi. La CLC en conclut que le nouveau projet créera moins de 800 emplois.
Ensuite, les rentrées faramineuses de TVA attendues pour venir renflouer les caisses de l’État. Le gouvernement s’attend à 150 millions d’euros de recettes par an. La CLC a comparé les résultats des magasins outlet à Troyes et à Zweibrücken pour en déduire que l’État ne devra s’attendre qu’à 35 millions d’euros, car « une partie de cette recette ne résulterait que d’un transfert de la caisse du commerce traditionnel vers les exploitants du nouveau centre. »
Les répercussions de ce centre commer-cial de 75 000 m2 se feront sentir jus-qu’à Mersch et Junglinster, prédit la CLC. Les commerces devront s’attendre à une perte de chiffre d’affaires de vingt à trente pour cent. Et comme la cible des outlet-malls se situe dans le moyen et le haut de gamme, ils sont en concurrence directe avec les magasins spécialisés et multi-marques. Conclusion : « l’offre d’un outlet ne sera certainement pas complémentaire au commerce existant, bien au contraire ! » Pourtant, la complémentarité est une des conditions pour obtenir le feu vert du ministère des Classes moyennes. Et comme le petit commerce spécialisé est obligé de passer par des concessionnaires étrangers pour s’approvisionner, ils seront mis dans une situation concurrentielle défavorable par rapport au magasin d’usine qui reçoit la marchandise en direct. La ville de Troyes a fait une mauvaise expérience par la perte de trente pour cent de ses magasins, « un effet collatéral que Troyes reconnaît ne pas avoir réussi à compenser depuis 1995 ».
Le seul secteur à avoir bénéficié de l’attractivité des outlet-malls à l’étranger a été celui de l’horeca. Cependant, « l’infrastructure hôtelière dans les alentours de Livange étant assez peu développéeet vu la proximité des frontières, beaucoup de visiteurs extérieurs pourraient séjourner dans les établissements des villes de nos pays voisins ». Donc là encore, il ne faudra pas s’attendre à une explosion des nuitées. Car en plus, les consommateurs ne seront pas davantage tentés par la beauté touristique des villes avoisinantes, la condition étant que ces centres-villes soient accessibles à pied.
Seule Trêves, principale concurrente aux commerçants luxembourgeois, n’en pâtirait pas, car elle offre des arguments autrement plus attrayants pour les consommateurs luxembourgeois qui continueront à y dépenser une partie de leur argent – la CLC avance le chiffre de 187 millions d’euros – à cause de l’ambiance, l’accueil, la langue proche du luxembourgeois, l’offre en matière de restauration, les atouts touristiques.
Bref, les attentes du gouvernement sont irréalistes, souligne la CLC, qui doute même du succès commercial du projet de Livange. En fin de compte, « même s’il s’agit en premier lieu du risque d’un seul entrepreneur, le bilan à moyen et long terme pour le Luxembourg dans son ensemble pourrait s’avérer négatif sur tout le plan et toucherait tous les acteurs, PME, grands magasins, en ville et en périphérie, l’emploi et la caisse de l’État ».
Même si on pouvait s’attendre à une prise de position de ce genre de la part des commerçants – ils avaient déjà prédit la fin du commerce de la capitale avec la construction de l’hypermarché au Kirchberg – les arguments avancés valent sans doute la peine d’être considérés.