La construction du terrain de football à Livange avec ses plus de 75 000 m2 d’espace de vente et la réalisation du projet de Wickrange avec quelque 10 000 m2 de magasins ne font plus de doute. Tous les ministres concernés de prés ou de loin applaudissent des deux mains ces deux mégaprojets. À commencer par le ministre du Développement durable, Claude Wiseler (CSV) qui, même s’il admet vouloir attendre les « masterplans » et l’étude d’impact sur l’environnement du site de Livange le mois prochain, n’a pas caché son enthousiasme mardi au parlement lorsqu’il répondit à la question du député socialiste Claude Haagen sur la compatibilité de ces projets avec les grands principes de l’Aménagement du territoire et les coûts pour la main publique. Le prédécesseur du ministre, Jean-Marie Halsdorf (CSV), avait encore tenté d’empêcher le projet Wickrange, où Guy Rollinger projetait d’implanter un centre commercial de quelque 24 000 m2. Pour le persuader de laisser tomber ce projet, des négociations furent menées pour l’associer au projet de Flavio Becca à Livange, où il pourrait exploiter une partie des surfaces commerciales. Aujourd’hui, il a l’air d’en sortir comme le grand vainqueur de l’affaire. Car, au lieu de laisser tomber le dossier Wickrange, il en a aménagé les plans en réduisant la surface commerciale et en ajoutant des zones artisanales, des bureaux et des logements et le tour fut joué. Aux communes maintenant d’adapter leurs plans d’aménagement généraux.
Ce qui fait dire au Mouvement écologique que ce sont les promoteurs qui dictent la politique en matière d’aménagement du territoire. Or, selon Claude Wiseler, l’idée de Livange est partie d’une initiative du gouvernement à la recherche d’un terrain pour construire un nouveau stade de football. Douze terrains auraient selon lui été sélectionnés et celui de Livange aurait été le mieux placé pour son accessibilité – il aurait d’ailleurs été intéressant de savoir quels ont été les onze autres qui n’ont pas été retenus, mais cette discussion est aujourd’hui superflue, vu l’avancement du dossier. Stade, surface commerciale avec supermarché de bricolage et outlet-mall. Même la ministre des Classes moyennes, Françoise Hetto-Gaasch (CSV) n’y voit aucun inconvénient, car pour elle, il s’agit d’un projet complémentaire à ce qui existe déjà, les clients n’auront plus à aller dépenser leur argent à Zweibrücken par exemple. Le ministre de l’Économie, Jeannot Krecké (LSAP) est ébloui par la promesse de la création des 2 000 emplois et félicite le promoteur pour son courage d’investir un demi milliard d’euros qui permettra à l’État de faire des rentrées de centaines de millions d’euros par an (Luxemburger Wort du 16 mars 2010), oubliant peut-être qu’un des P du public private partnership, destiné à financer le projet, concerne le portefeuille de l’État. Et finalement, le ministre des Sports, Romain Schneider (LSAP), qui a assuré devant les membres du Comité olympique et sportif luxembourgeois qu’il ne tolérera aucun retard dans la construction du nouveau stade.
Que valent, devant tant d’enthousiasme, le rappel du Mouvement écologique des principes de l’aménagement du territoire – tels qu’ils ont été définis dans l’IVL (integratives Verkehrs- und Landesentwicklungskonzept) – et les timides objections de la Confédération du commerce ? Le ministre du Développement durable est persuadé que le concept de Livange n’est pas contraire à l’IVL et aux plans sectoriels. Car de toute manière, ces instruments ne sont pas juridiquement opposables aux promoteurs qui ne s’y plient pas. « Le stade se trouvera entre l’autoroute, la ligne ferroviaire, près de la station essence de Berchem et vis-à-vis du complexe hôtelier, précise Claude Wiseler, donc au bord d’un axe de passage national. » Or, la réalisation du complexe signifie aussi la construction d’une troisième voie sur l’autoroute, la réalisation de la promesse d’un arrêt de train y est encore très hypothétique, car elle ne sera possible qu’après la construction de la nouvelle ligne ferroviaire. Mais de toute manière, qui voudra utiliser les transports en commun pour s’équiper en matériel de construction ? L’étude d’impact sur l’environnement aura tout au plus pour effet des « mesures de compensation », comme l’a précisé le ministre.
Les supporteurs de football peuvent jubiler, ils recevront un stade d’une capacité de 10 000 places. Toutefois, il serait intéressant de savoir combien de fois cet espace pourra être rempli, car aujourd’hui, les rangs du stade Josy Barthel restent le plus souvent déserts, même pour des matchs internationaux. Le pouvoir d’attraction de Livange restera donc fort probablement au niveau des commerces. Et dès que les bus de supporters étrangers arriveront, ceux-ci pourront se lancer dans le shopping et savourer la vue sur l’aire de Berchem. Ce sera l’image qu’ils remporteront du Luxembourg – singulière approche d’un point de vue du développement du tourisme d’ailleurs. C’était donc ça, la vision du Premier ministre lorsqu’il annonça que le Luxembourg allait devenir le centre commercial de la Grande région. Livange, Wickrange, Belval, ban de Gasperich, Esch-Lallange – les consommateurs auront l’embarras du choix sur des milliers de mètres carrés. Dans cette logique et pour être vraiment cohérente, la tripartite devrait décider maintenant de la réduction du temps de travail des consommateurs et l’augmentation de leur pouvoir d’achat.