"Je suis née juive polonaise et je me sens juive polonaise. Pour le reste, je suis une survivante". C'est par ces mots que Maryla Michalowski-Dyamant commence le récit de son témoignage sur l'Holocauste. "Encore un" oserons penser d'aucuns en leur fort intérieur. Et effectivement, ce Mémorial des Morts sans Tombeau raconte encore une fois la vie en Pologne, à Bendzin, d'une jeune fille de vingt ans, pareille à toutes les autres, avec une famille, des frères et des surs, des parents, des grand-parents, des cousins, une tante favorite. Sauf qu'à l'époque dont Maryla Michalowski-Dyamant parle dans son livre, 1939 et l'invasion de la Pologne, le fil normal de toute vie d'une jeune fille de vingt ans - elle allait sans doute se marier, avoir à son tour des enfants qu'elle aimerait et entourerait comme elle l'avait été par les siens, qui l'avaient éduquée dans la tradition de la religion juive de ses ancêtres - disparut à tout jamais.
Parce qu'il y eut la déportation à Auschwitz, le tatouage d'un numéro sur son bras - elle dit merci parce qu'elle sut qu'elle n'allait pas être tuée tout de suite - et "après", une longue survivance, à Bruxelles, aux côtés de Yurek son mari, qui aux premiers jours de l'"après" lui avait tendu une couverture et une épaule sur laquelle s'appuyer. "Après", Maryla Michalowski-Dyamant, comme tant d'autres survivants se pose souvent la question sans réponse et d'autant plus lanscinante du pourquoi elle a survécu elle et pas les autres, sa famille, ses amis, ses compagnes et compagnons de camps, et en guise de réponse peut-être, elle devient une infatigable narratrice de sa déportation à Auschwitz dans beaucoup d'écoles, pour que cela ne se reproduise plus jamais ni nulle part dans le monde et dire que le négationnisme et le révisionnisme, c'est vraiment une saloperie après l'autre, celle de l'extermination des Juifs et aussi des Tziganes par les nazis durant la Deuxième Guerre Mondiale.
Un jour où, dans une de ces écoles, elle raconte combien elle avait souffert de privations et que les tout petits vont lui chercher qui un bout de pain, qui une pomme de leur casse-croûte pour qu'elle puisse se rassasier à sa faim, elle comprend que quelque chose qu'elle ne pouvait exprimer autrement qu'à travers des mots, les mots de son vécu à elle, a pris la forme d'une image peut-être plus compréhensible pour les autres. Parce que l'horreur est difficle à comprendre pour qui est jeune, soixante ans plus tard, et qui vit aimé et entouré par ses parents à Bruxelles ou ailleurs qui n'est pas la Pologne de 1939, dont la ville natale n'est pas Bendzin, l'enfermement celui du ghetto, l'anti-chambre de la mort le camp de concentration d'Auschwitz, la marche de la mort celle de Ravensbrück et la vie à Bruxelles ou ailleurs "après", avec Yurek, à vivre la survivance.
Il est vrai que ce Mémorial des Morts sans Tombeau, qui met en noir sur blanc la pédagogie par le récit de l'horreur de Maryla Michalowski-Dyamant, n'est pas a priori un livre facile à lire. Pour les adultes d'abord, pour lesquels les documentaires régulièrement diffusés à la télévision, les témoignages d'autres survivants - de ceux qui acceptent, de ceux qui peuvent en parler -, les Shoah, les Nuit et Brouillard, les films à demi-fictifs ou carrément romancés "mais basés sur des personnages ayant existé", finissent par former un tissu d'images amalgamé à l'horreur banalisée au quotidien dans la masse d'informations d'aujourd'hui et qui submerge. La jeunesse ensuite aura sans doute du mal à assimiler la mouvance géographique de la Pologne d'alors et telle qu'elle s'était constituée au cours de siècles de glissements des frontière et d'identités nationales incertaines qui attisèrent des patriotismes mous que le nazisme n'eut pas beaucoup de mal à enrôler.
La parole enfin, de Maryla Michalowski-Dyamant - le livre est basé sur une série d'entretiens avec Serge Noël, un "jeune", dont on perçoit dans certains passages du livre la difficulté à saisir le fil conducteur d'un récit haché par des souvenirs et des traditions, dont les images sont si personnelles, entrechoquées, qu'elles passent diffilement sous le sens du commun - qui retrouve dans l'évocation du ghetto et plus encore dans celle de la vie du camp, une langue d'urgence, codée, comme les relations presque animales des co-détenus et qui permit aux plus forts, aux plus malins et aux moins désespérés de survivre à Auschwitz, à Ravensbrück et "après". Mais il faut entendre ce langage simple, souvent rugueux, à la limite parfois de l'insupportable de Maryla Michalowski-Dyamant pour, à la fin, avoir le cran de dire comme elle, "la tolérance, c'est ma ligne de conduite".
Maryla Michalowski-Dyamant, Mémorial des Morts sans Tombeau, Éditions d'Lëtzebuerger Land, ISBN 2-919930-00-1, 188 pages, 600 francs