L’information qu’on n’aura pas, c’est l’histoire de Comeback. Gardé comme le secret du Graal par le producteur Bernard Michaux (Lucil Film) comme par le Film Fund et RTL Tele Lëtzebuerg, on n’en connaîtra que le fil conducteur : trois jeunes personnages veulent aider un vieux rockeur des années 1980 à faire son come-back. À partir de là s’ouvrent tous les possibles, déclinés sur 24 épisodes. Les scénaristes Thierry Faber, Eric Lamhène (dont le court-métrage Flou vient d’être présenté dans le cadre du festival Discovery Zone), Bernard Michaux lui-même, Kim Schneider et le head-writer Frédéric Zeimet (qui a également participé à Weemseesdet ? et a co-écrit le policier Doudege Wénkel avec Christophe Wagner) sont en train de finaliser les vingt premiers épisodes en séances de travail communes. Ce travail sera achevé à la fin du mois d’avril, puis les travaux recommenceront début septembre, les scénarios existants seront légèrement adaptés à l’actualité du moment, les quatre derniers épisodes seront écrits et les tournages par épisode se feront sur trois jours et le montage et la post-production sur deux jours, toujours une semaine avant la diffusion, qui commencera le 28 septembre.
Un mode de travail qui leur permet d’être dans l’immédiat, d’être beaucoup plus réactifs que leurs prédécesseurs, dont tous les épisodes avaient dû être écrits en parallèle et sans véritable lien stylistique entre eux, parce qu’ils manquaient de temps, puis ont été produits tous en même temps durant l’été afin d’être prêts pour la rentrée.
Flash-back L’idée de produire une sitcom ou un soap-opera luxembourgeois remonte aux Assises du film luxembourgeois, un grand raout des professionnels du cinéma instigué par les ministres de la Communication, François Biltgen (CSV), et de la Culture, Octavie Modert (CSV), dans le contexte du vingtième anniversaire du Fonds de soutien à la production audiovisuelle aka Film Fund, qui ont eu lieu le 4 mai 2010. Y était entre autres à nouveau articulé le désavantage que constitue pour le secteur audiovisuel l’absence de la production de fictions pour la télévision, un secteur qui manque ainsi non seulement d’un partenaire pour la production de films, mais aussi d’importants débouchés, notamment de travail. Or, si la télévision nationale, RTL Tele Lëtzebuerg, est hybride, société privée avec une obligation de service public, les ministres et le Film Fund savent aussi qu’elle manque tout simplement de moyens financiers pour investir dans la production, comme le marché est extrêmement restreint sur un territoire de 500 000 habitants. C’est d’un groupe de travail tripartite entre les trois intervenants qu’est née l’idée de produire une série avec l’aide financière de l’État (voir ci-contre).
Un concours a été lancé en septembre 2010, appel à idées suite auquel dix projets de scénarios portés par sept sociétés de production différentes ont été déposés auprès du Film Fund. Le jury composé de représentants du Film Fund et de RTL en ont finalement retenu deux ex aequo – Weemseesdet ? que Steve Schmit, directeur des programmes de RTL Tele Lëtzebuerg, qualifie de l’équipe « All Stars » faite de professionnels toutes générations confondues, et Comeback, porté par des jeunes qui se lancent avec un concept crossmedia et participatif. Les soumissions n’ayant pas été anonymisées, il est évident que la notoriété de Désirée Nosbusch d’une part et le bonus « djeunz » de l’autre auront joué pour les deux séries. (Détail intéressant : le troisième scénario qui avait été présélectionné à l’époque, Glécklech gescheet, déposé par Samsa Film, était également écrit par Eric Lamhène, Thierry Faber et Frédéric Zeimet). Le résultat ayant été proclamé le 10 février 2011 seulement, cela laissait exactement six mois à l’équipe gagnante pour produire les 24 épisodes, soit 600 minutes ou dix heures de fiction.
Debriefing C’est d’ailleurs sur ce point que tout le monde est d’accord en faisant le debriefing de l’expérience Weemseesdet ? : le calendrier était extrêmement serré, tout se faisait dans l’urgence – et tout était à inventer, personne au Luxembourg n’ayant de l’expérience dans ce domaine. C’est sur ce point de l’expérience américaine de Désirée Nosbusch et Alexandra Hoesdorff, toutes les deux extrêmement pointilleuses sur le respect des délais et des budgets lors de la phase de production, était un réel avantage. Toute la série a été produite d’affilée à Dommeldange, dans les anciens bâtiments de l’Arbed, avec l’équipe et le matériel technique de BCE (Broadcasting Center Europe), dans un décor salon-cuisine fixe. Des choix qui permettaient d’optimiser la production, même s’ils avaient quelques désavantages par ailleurs, par exemple esthétiques (l’image était très plate).
La diffusion de Weemseesdet ? s’est achevée samedi dernier, 14 avril, avec une dernière rediffusion des meilleurs épisodes, « et nous, on en tire un bilan extrêmement positif, affirme Steve Schmit de RTL, car nous avons eu exactement ce que nous vou-lions, soit un nouveau format et une histoire typiquement luxembour-geoise. » Pourtant, à peine le premier épisode était-il passé à l’antenne que les critiques, parfois virulentes (« et ass besseren Duerftheater ») fusaient. « L’attente était énorme, se souvient encore Steve Schmit. Le lancement de cette première série avait été extrêmement médiatisé, et cela continuait jusqu’à la fin. À mon souvenir, nous n’avons jamais eu un programme dont les gens parlaient autant que de celui-ci... »
Les premiers chiffres TNS-Ilres publiés en janvier affichaient un bilan positif : 33 pour cent des Luxem[-]bourgeois regardaient le programme régulièrement, et 74 pour cent des spectateurs étaient satisfaits, 42 pour cent « adoraient » même Weemseesdet ? « Après un certain temps, les Wampach faisaient un peu partie de la famille de tous les téléspectateurs », se réjouit Steve Schmit, qui souligne que la série touchait un peu toutes les générations, entre les anciens, qui étaient ravis de retrouver Fernand Fox dans le rôle du grand-père (un acteur qu’ils avaient déjà aimé à la télévision à l’époque du Hei Elei Kuck Elei), et les enfants ou adolescents qui d’identifiaient à fond à Max Thommes, Luc Lamesch ou Eugénie Anselin. Un deuxième sondage, qualitatif, sera lancé en mai pour mieux connaître les attentes et les réactions du public.
Le facteur travail Le bilan de la part du Film Fund est tout aussi positif. « Nous en avons fait une analyse à plusieurs niveaux, raconte son directeur Guy Daleiden : l’apport artis-tique et créatif de la série a certainement été de valeur, mais je tiens surtout à souligner que la production de Weemseesdet ? a fourni du travail à plein de professionnels durant six mois, et ce aussi bien devant la caméra que derrière. » Ainsi, plusieurs scénaristes et réalisateurs ont pu se faire la main en écrivant ou en réalisant un épisode. À tous ceux qui critiquent la décision du Film Fund d’investir dans la production de contenu pour une chaîne privée, il rétorque, pragmatique, que si c’est, comme ici, un moyen pour réaliser la mission du fonds de « contribuer au développement du secteur », cela lui convient tout à fait.
Ce « facteur travail » a sans conteste aussi motivé les sept producteurs à participer au concours, car produire une fiction de cette envergure, cela permet de faire travailler ceux des 600 professionnels du cinéma qui n’ont pas tous un engagement sur un long-métrage, un documentaire ou un court-métrage durant toute l’année.
La différence Bernard Michaux ne cache pas que ce fut aussi une de ses motivations à lui, quand il a déposé son dossier il y a un an et demi. À côté de l’ambition de gagner, bien sûr. Bien que le mode de financement et le créneau de diffusion – le vendredi soir à 19 heures – restent les mêmes, Comeback se différencie fortement de son prédécesseur. D’abord par son public-cible : la série vise clairement un public jeune, celui qui consomme également Eldoradio et le Ben’s Club du samedi soir. Les épisodes seront tournés en deux décors fixes, un appartement et un café, plus des décors naturels, au moins trois par épisode, différents à chaque fois, qui s’imposent par l’histoire. Beaucoup d’images seront tournées en caméra à l’épaule par des réalisateurs et cameramen proches de Lucil Film, qui peuvent changer pour chaque épisode, selon leurs disponibilités. Les décors naturels permettront non seulement d’enrichir l’histoire et l’esthétique, mais aussi de faire des économies. Car le budget, 1,5 million pour 24 épisodes, est vraiment très serré, Bernard Michaux n’ayant voulu faire d’économies ni sur le scénario ni sur les honoraires.
« On va essayer d’être extrêmement réactifs, près du public, raconte Bernard Michaux. Il y aura des intersections entre la réalité et la fiction. » Ainsi, un lieu de tournage sera ouvert au public, qui pourra non seulement le visiter, mais aussi interagir sur l’évolution des personnages : faire mourir Samantha, valoriser Steve ou opter pour une séparation de Charel et de Maisy... Les téléspectateurs pourront s’exprimer sur place, assister au tournage en tant que figurants – plus de 250 petits rôles sont prévus – et, bien sûr, mais c’est déjà presque banal, réagir par les réseaux sociaux. Un casting a permis de désigner les quatre personnages principaux, les trois jeunes sont des inconnus jusqu’à présent, passent encore leur bac avant le tournage.
Le rythme, l’importance de la musique pop-rock, l’expérimentation avec la langue luxembourgeoise – par exemple la question : à quelle vitesse peut-on la parler pour qu’elle reste intelligible ? les taraude encore –, mais aussi la prise en compte des spécificités locales comme le fait que tout le monde connaisse tout le monde ici, que tout soit si proche ou que tout se sache, seront des éléments constitutifs du scénario.
« Les sitcoms sont un véritable terrain d’expérimentations et un vivier de créativité en ce moment, regardez : les meilleures histoires qui nous viennent des États-Unis sont des séries et des sitcoms ! » affirme Bernard Michaux. Tous les scénaristes de Comeback dévorent ces séries américaines, de préférence en version originale et sur le web, et de citer en référence des séries comme Friends, Modern family, How I met your mother, New girl ou Happy ending. Les deux principaux scénaristes de Weemseesdet ? avaient des références un peu plus anciennes : le Cosby Show, qui remonte aux années 1980, pour Claude Lahr, et Ein Herz und eine Seele, série allemande des années 1970, pour Marc Limpach. Décidément, il y a un gouffre générationnel entre les deux.