Après avoir connu un trou d’air en 2008, la finance islamique a à nouveau le vent en poupe. En particulier, les émissions de sukuks sont appelées à se développer. Inventés dans les années 1960, les sukuks font partie des produits financiers dont la structure et l’utilisation sont conformes aux principes de la Charia, notamment l’interdiction de l’intérêt (riba) et l’interdiction de spéculation (ghirrar). Il s’agit de titres de dettes (d’où le nom « d’obligations islamiques » qui leur est souvent donné) adossés à des actifs réels (biens ou services) générateurs de flux financiers. Ils représentent une quote-part indivise de propriété sur ces actifs. Par nature, ils sont bien adaptés au financement d’infrastructures, et intéressent à ce titre de nombreux pays émergents dans le monde musulman.
2007 avait été une année record pour les sukuks, avec quelque 33 milliards de dollars d’émissions, sachant que l’on partait pratiquement de zéro au début du nouveau siècle (cinq milliards par an de 2001 à 2004). Les émissions se sont effondrées en 2008, atteignant à peine la moitié du niveau de l’année précédente, et le rebond attendu en 2009 n’a pas vraiment eu lieu, les émissions nouvelles n’ayant pas dépassé 25 milliards. Les entreprises privées, à l’exception de quelque grands groupes bien notés, comme GE Capital ou Petronas, n’ont pas été très actives et plusieurs reports de levées de fonds ont été enregistrés. Le seul fait notable en 2009 a été la domination du marché par la Malaisie, avec plus de 13 milliards de dollars d’émissions (soit la moitié du total), contre moins de six milliards en 2008. La Malaisie a émis à elle seule, en valeur, deux fois plus de sukuks que l’Arabie Saoudite et les Émirats ensemble.
Moody’s, qui vient de publier une étude sur ce thème, ne s’attend pas pour 2010 à des volumes bien supérieurs à ceux de 2009, mais entrevoit une forte reprise à partir de l’année prochaine, à la faveur de changements réglementaires qui affecteront des pays non musulmans, élargissant ainsi considérablement la dimension géographique du marché.
Le Luxembourg et Londres ont montré la voie : le Royaume-Uni devrait d’ailleurs être le premier pays européen où sera émise une obligation islamique. Des adaptations sont également attendues en France, mais surtout dans la zone Asie-Pacifique (Australie, Japon, Thaïlande, Corée du sud). Dans ces pays, les émissions, dont le montant global restera modeste, ce sont surtout les entreprises qui seront concernées, les gouvernements et institutions publiques étant réticents, pour des raisons politiques évidentes, à émettre des « obligations islamiques ».
Le marché demeurera cependant concentré dans les pays du Golfe, la Malaisie et l’Indonésie. Il sera soutenu par des avancées réglementaires : en Arabie saoudite, une réforme devrait permettre l’essor du crédit immobilier, et, au niveau mondial, un marché des produits dérivés islamiques est en train de s’organiser.
Il sera également favorisé par un effet de rattrapage : les marchés financiers orientaux sont en effet très orientés sur les actions, et peu sur les produits de taux. Alors qu’au niveau mondial, selon les calculs de la BRI, la taille des marchés obligataires est à peu près le double de celles des marchés actions, dans les pays du Golfe c’est l’inverse, avec des marchés actions cinq à quinze fois plus gros. Et au sein des marchés de taux, les sukuks pèsent encore très peu. Au Koweit par exemple, où les marchés actions pèsent 92 p.c. du PIB, le marché des sukuks n’en représente que 1,5 p.c.
Surtout, les États de la région ont des besoins considérables de financement pour soutenir leurs économies et les rendre progressivement moins dépendantes du pétrole. Ce sont donc les émissions publiques ou para-publiques (organismes plus ou moins directement liés aux États) qui soutiendront le marché. La marge est importante, car ces pays sont très peu endettés : la dette publique rapportée au PIB est inférieure à 25 p.c. dans les pays du Golfe, un taux à faire rêver les Occidentaux.
Enfin, les sukuks seront, à l’avenir, plus facilement utilisables par les gérants de fonds dans leurs portefeuilles, à mesure qu’ils se rapprocheront de plus en plus des obligations classiques : Moody’s a ainsi remarqué que 4 p.c. seulement des sukuks dont il avait été amené à noter l’émission était adossés à des actifs réels.