Grand travailleur, loyal, ambitieux, encore fringant, mais tellement infatué : Jean Meyer, 65 ans, n’aurait pas dédaigné être reconduit à la présidence de l’ABBL si on ne lui avait pas fait comprendre qu’il n’était plus l’homme de la situation, s’il le fut jamais. Lorsqu’il a senti le vent tourner fin 2009 et filer ses chances d’être adoubé pour un autre mandat à la tête d’une des plus puissantes organi-sations patronales du pays, compte tenu du peu de légitimité que lui confère désormais sa simple présence au conseil d’administration de BGL BNP Paribas et du bilan dont il peut se prévaloir après cinq ans de fonction, il s’est rabattu sur l’espoir de briguer un mandat d’administrateur (indépendant) à la Bourse de Luxembourg (lire page 9), et pourquoi pas la présidence, actuellement occupée par Raymond Kirsch, qui terminera son mandat au printemps 2011, mais ne montre aucune envie de décrocher ?
Le vœu de Jean Meyer ne s’est pas réalisé. D’abord parce que l’homme, malgré ses fréquentations assidues des terrains de golf, manquait d’appui politique : l’État luxembourgeois, de manière directe et indirecte – la BGL lui a d’ailleurs vendu ses titres en 2008 –, est le principal actionnaire de la Bourse, maison ronronnante qui est davantage une caisse enregistreuse pour des émissions internationales qu’une véritable place de négoce des titres. Ensuite parce que personne n’était assez timoré pour se laisser usurper un « job », certes purement honorifique, mais qui permet à son heureux locataire de se faire promener en voiture avec chauffeur et de disposer d’une secrétaire et d’un bureau en ville. Jean Meyer avait d’ailleurs d’autant moins de chance qu’il n’a plus grand-chose à monnayer en échange. S’il a pu devenir président de l’ABBL en 2005, c’est suite à un package deal avec la BGL/Fortis, dont il était le président du comité de direction depuis le départ d’Alain Georges : il lâchait l’exécutif en échange du poste à l’association des banquiers et, cerise sur le gâteau, un mandat de président du conseil d’administration de la BGL (l’un n’allant de toute façon pas sans l’autre). Il avait d’ailleurs dû en 2000, après le claquage de porte de son prédécesseur, son accession au plus haut de la hiérarchie autant à son ancienneté dans la maison qu’à l’apathie de ses actionnaires. Le passage à vide du secteur financier luxembourgeois (et mondial), après l’éclatement de la bulle Internet, a fait tomber des têtes, vu des hommes nouveaux prendre le pouvoir et l’actionnaire Fortis se secouer enfin les puces.
Lorsqu’il arrive à l’ABBL, Jean Meyer ne délivre strictement aucun message à la presse : normal parce qu’il n’a été élu sur aucun programme. Le personnage passe mal dans les médias, qu’il craint d’ailleurs comme la peste. Il accordera peu d’interviews, la corvée incombant au directeur général Jean-Jacques Rommes, bien plus efficace et télégénique que son président. Jean Meyer se donnera 90 jours pour mettre en place une politique qu’il mettra finalement près de huit mois à faire sortir des limbes, en décembre 2005. Le programme d’action s’articulait sur la mise en place d’une communication interne et externe « plus efficace », l’attractivité de la place financière et la « cohérence et la solidarité » entre des membres de l’ABBL et une place financière sans beaucoup de cohérence justement, avec des acteurs tirés à hue et à dia entre la tentation de mettre davantage l’accent sur la banque privée, le besoin de diversifier les activités et la nécessité de ne pas en faire trop pour le secteur de l’épargne collective, qui avait alors toutes les faveurs du gouvernement.
La communication se mettra effectivement en route sous son « règne », avec l’agence Luxembourg for Finance, mais il n’en sera pas le moteur et sera même l’un de ceux qui feront échouer le projet de création d’une seule et unique agence de promotion de la « marque Luxembourg ». On (les banques) ne va pas payer pour vendre l’acier d’ArcelorMittal, aurait-il dit en substance, en refusant de faire cause commune avec le reste de l’industrie pour promouvoir le savoir-faire du pays à l’international. Ce qui débouchera d’ailleurs plus tard sur la création de Luxembourg for Business.
Jean Meyer n’a rien d’un diplomate, qualité pourtant requise pour être à la tête d’une association de banquiers. Il a même réussi à torpiller certains projets qui étaient dans les tuyaux, surtout en raison de son imcompréhension de l’évolution de la place financière. Une des gaffes les plus retentissantes de sa carrière remonte à 2006, lors d’une mission économique à Manama, devant un parterre d’hommes d’affaires et de hauts responsables locaux. L’un d’eux interroge Jean Meyer sur les possibilités de créer une situation de gagnant-gagnant entre les deux places financières, Luxembourg et Bahrein. Réponse du Luxembourgeois, avec un naturel aux gros sabots : « Nous montrons déjà de la bonne volonté en venant ici après le 12 octobre, pardon, après le 11 septembre ». L’assemblée en fut médusée, au point d’ailleurs d’obliger le gaffeur à présenter ses excuses le soir venu à l’occasion d’une autre réunion. Depuis lors, l’impeccable Jean Meyer, toujours tiré à quatre épingles, ne s’est pas tellement exprimé et, s’il l’a fait, a parlé les yeux rivés à des notes écrites. Il aurait aussi appris pas mal de discours par cœur.