Dans la série des femmes artistes qui revendiquent haut et fort leur féminité et la déclinent dans leur travail, après Tessy Bauer et ses « amis de la banane », voici désormais Elodie Antoine en solo à la galerie Dominique Lang de Dudelange. De son terreau fertile et plutôt « belgophile », Danièle Igniti (du service culturel de la ville de Dudelange) extrait aujourd’hui cette jeune artiste de Bruxelles aux manières très douces. Peut-être même trop. Difficile de ne pas faire le rapprochement avec sa devancière dans la programmation de la galerie. Outre d’être toutes deux passées par la Cambre à Bruxelles et de travailler dans la capitale belge, les deux femmes jouent en plus dans la même cour de récréation : l’importance fondamentale des matériaux, la sensualité pour véhiculer le ou les messages et le rendu délicat des objets qui passent entre leurs doigts de fées.
Même certaines œuvres les rassemblent : là où trônait le mois dernier le pouf canard de Tessy Bauer (Objet de suicide) siègent désormais deux chaises recouvertes de « graines en velours rose » qui débordent et s’amoncèlent sur le sol aux pieds des chaises. Des assises supports de messages bien différents. Les objets de latex que Tessy Bauer avait disposés sur une table (S.h.n.m – sexualité, hygiène, nourriture, maladie), Elodie Antoine les a remplacés par des « feutres tranchés » également de petite dimension mis en exergue sur une table roulante vitrée.
Bref une grande similitude de moyens, une même langue de communication artistique, même si elle porte moins loin chez l’hôte actuelle de la galerie. Après les couleurs criardes et les procédés aguicheurs de Tessy Bauer, Elodie Antoine est, elle, plutôt en demi-teinte, à l’instar des couleurs qu’elle choisit (des textiles rose pastels ou liberty rembourrés, du feutre blanc, du fil noir). Son travail donne souvent l’impression de déborder, sans qu’il y ait pour autant de débordement ou d’accumulation visible. Tout se passe comme si c’était la chose proliférante qui l’intéressait, dans sa forme libre échappée de toute contrainte, plus que le principe de prolifération lui-même. Le centre d’art donne ainsi une impression d’espace vide, à peine rempli par l’apparition étrange et au compte-gouttes des fameuses « protubérances » de tissus ou de feutre que l’artiste a disposées sur une poutre, au coin d’un mur, aimanté à une plaque de fer ou sous un tableau...
Un peu à part, si ce n’est en ce qui concerne l’usage de textile, la série des travaux de dentelle aux fuseaux vient tirer un trait noir sur ce petit monde douillet. Des stages de formation, Elodie Antoine en a fait plus d’un, de la gravure à la reliure, en passant par le feutre ou le dessin. Mais celui de dentelle aux fuseaux, cet artisanat nécessitant beaucoup d’habileté et de patience auquel on associe souvent aujourd’hui l’image d’Epinal de la vieille dame aux napperons, elle le détourne de manière percutante. Loin du monde calfeutré qui semble lui être coutumier, l’artiste nous emmène dans la réalité, celle des grues et des cheminées de centrale électrique. Avec du fil noir habilement « tressé » pour tout porte-parole, elle critique, elle juge et donne son opinion sur le monde qui l’entoure et elle le fait sobrement et originalement. On en arrive presque à espérer qu’elle sorte plus souvent de sa coquille, cet univers si confortable, pour poser ses yeux d’artistes sur la vie dehors et nous la raconter à sa manière.
Car c’est ce qui manque dans ses corps feutrés et dans ses objets revisités : du recul. Elodie Antoine nous demande de l’accompagner dans son ébullition créatrice sans nous en donner tous les moyens. Il manque le mode d’emploi. À quoi bon dénaturer un objet si c’est pour mieux le contraindre dans son statut d’objet ? Comme ses deux chaises rembourrées de façon débordante avec cadre assorti, ou ses deux autres chaises à bascule mutées en assises absurdes (Fauteuils tentaculaires) ? Comme ces feutres à la technique incroyable qu’elle dissèque à n’en plus finir ou qu’elle transforme en objets singeant un réel vu par le petit bout de la lorgnette (Bonde ou Tuyauterie organique) ? En les revisitant à sa manière, Elodie Antoine leur confère un esthétisme tout en rondeur, mais est-ce là une portée suffisante ?