Le 29 janvier 2009 à 14h25, le photographe allemand Michael Najjar atteignit le sommet de l’Aconcagua, montagne d’Argentine culminant à 6 962 mètres, la plus haute du monde avec l’Himalaya. Suite à une préparation physique préalable intense de six mois, il escalada le pic en compagnie d’une équipe de six hommes et réalisa la série de photographies High Altitude au cours de trois semaines d’expédition. Il procéda ensuite à des manipulations informatiques et à l’aide du logiciel Photoshop pour découper les pics des montagnes selon l’évolution des courbes de la bourse en 2009. En résultent des images atmosphériques surprenantes, réelles et fausses, où beauté sublime du paysage, émotions fortes et folie humaine se rencontrent au sommet pour négocier un bout de terrain, une valeur économique, une raison d’être.
En transposant les courbes et l’évolution des principaux indices boursiers mondiaux, Nasdaq, Dow Jones, Lehman, à la silhouette de paysages montagneux, Michael Najjar crée une comparaison entre les formations naturelles rocheuses et les éléments graphiques, données virtuelles de l’économie. La nature a son histoire, sa chronologie, sa biographie, une vitalité et une décadence tout comme la bourse. Mais que va chercher le photographe à 6 962 mètres d’altitude dans la chaîne des Andes argentines ? Une preuve tangible que nous sommes tous dépendants d’une ligne variable qui régit notre monde. Ici la santé de l’économie, son amélioration, son équilibre et son déficit, dont les courbes sont immédiatement reconnaissables par les financiers pour avoir plongé le monde dans la crise, sont transférées sur l’image d’une nature sauvage, préservée, presque vierge et puissante, obéissant à sa propre existence et temporalité.
Dans High Altitude, la beauté subliminale des montagnes est cropée par les conséquences catastrophiques de la crise des subprimes, altérée par la main de l’homme et son incapacité à gérer l’économie mondiale. La montagne comme toit du monde est ici fragilisée et capturée dans un moment figé. Il s’agit également d’une critique écologique tendant à dire que la nature est détruite et dénaturée par le Capital tout-puissant. Ici, Dieu n’existe pas, il semble avoir été remplacé par une multitude de petits dieux financiers qui creusent le monde en quête de ressources économico-naturelles sculptant le paysage à l’aide de pioches. High Altitude est une parabole moraliste et métaphorique sur la performance humaine, l’escalade, l’équilibre, la sagesse et la dégringolade du monde écolo-économique.
Michael Najjar superpose les indices boursiers dans les escarpements pour montrer le rapport au Virtuel qu’entretiennent la nature et l’économie. Aujourd’hui, le système des biens et des marchandises a laissé sa place aux échanges d’informations immatérielles, au traitements des données, au commerce de produits virtuels, articulé par une chaîne de signifiants, où chaque signe renvoie à un autre sans référence à la réalité, où codes et simulations dirigent le monde et cachent le possible effondrement du système. En effet, quel est le résultat d’une re-matérialisation de ces données dans le réel ? Il révèle souvent des vides, des produits inexistants, des valeurs détournées.
Avec High Altitude Michael Najjar poursuit ses recherches plastiques avec logique. Le photographe fortement attiré par le pouvoir des médias, avait déjà développé une vision particulière de l’information post-11 septembre 2001 avec la série Information et Apocalypse en 2003, photographies de la guerre en Iraq représentant des GI à l’instar d’acteurs sur un plateau de tournage cinématographique, entre réel et fiction. Mais c’est aussi l’image des nouvelles technologies qui l’intéresse, des villes futuristes en transition dans sa série Netropolis, 2003-2006, l’artificialité et les structures neuronales sur l’organisme humain avec le projet Nexus en 1999-2000, le clonage et la génétique avec Bionic Angel, en 2006-2008, où hommes et femmes nus se présentent comme des sculptures antiques et conversent avec la mythologie. Le rapport à l’histoire et au passé est omniprésent dans le travail du photographe créant des ponts entre les époques afin d’identifier les mutations du monde.