À l’aune du matraquage médiatique quotidien, méfiez-vous des rafales d’images en mouvement qui polluent aujourd’hui les bars, restaurants et discothèques pour s’emparer de votre « temps de cerveau disponible »1 afin de vous enfoncer encore plus dans le flux narcotique télévisuel débile qui met fin à toutes les bonnes discussions. Ce ne sont pas des images justes, ce sont, malheureusement, juste des images.
Il est urgent de pointer du doigt celles qui font lever les yeux du spectateur, celles qui provoquent une réaction, qui méritent que l’on parle d’elles entre amis. Loin des tapisseries peintes animées, Steph Meyers programme depuis plus d’un an à l’Exit07 le cycle Loop. Les dimensions de l’espace-écran qui surplombe le bar rappellent le format cinémascope, poussé ici à son point ultime. Trois projecteurs au format 16/9 mis côte à côte éclairent des œuvres créées par des artistes ouverts aux expériences audiovisuelles sensorielles. Ils viennent du graphisme, de l’animation, du motion design et du cinéma, et s’appellent Wennig[&]Daubach, Paul Kirps, Eric Schockmel, Steve Gerges ou encore Beryl Koltz.
Sortir l’art des musées, essayer de l’intégrer au quotidien pour que tout un chacun puisse le découvrir et le vivre sans forcément s’y attendre au départ, telle est la mission noble que Steph Meyers s’est fixée, et qui a été entreprise au cours du XXe siècle par de nombreux artistes et penseurs. La surcharge d’images animées insignifiantes pousse aujourd’hui plus que jamais à la défense d’une politique qui valorise des images en mouvement conçues avec un regard, une réflexion et du temps, bref, de l’argent mis à disposition d’un artiste. Mais comment créer une boucle audio-visuelle censée s’intégrer dans un lieu public de façon complémentaire, sans happer le regard des clients qui sont avant tout sur place pour boire un verre ?
C’est par le biais de l’interactivité que l’œuvre Catch-All de Wennig[&]Daubach, présentée en octobre 2009, réussissait à instaurer un pacte entre l’œuvre et les clients présents dans le bar. Chaque visiteur pouvait envoyer un texto composé de neuf lettres à un numéro spécifique qui faisait que, dans le monde virtuel, des bonhommes peignaient les lettres commandées par le client sur une vitre transparente, le mot envoyé apparaissant à la fin. Ainsi le client n’est pas spectateur mais per-former inclus dans le dispositif artistique, sans lui l’œuvre n’existe pas. Les clients du bar s’échangeaient des messages en public, la sphère intime du texto se transformant en agora gréco-romaine le temps d’une conversation.
Cette esthétique du quotidien s’est également retrouvée dans Last Exit to Brooklyn de Beryl Koltz, qui a filmé en plan séquence le passage d’un pont à travers la vitre d’une rame de métro newyorkaise. Quoi de plus éphémère que le striage de la structure métallique du pont qui décompose le flux continu des images en fragments dé-cousus que le spectateur doit reconstituer mentalement. Un paysage urbain qui défile, un pont qui fait le lien entre deux instants de vie, tout comme un passage au bar après une journée de travail.
Dans le cadre des soirées hebdomadaires Jeudiscover, l’animation graphique expérimentale Form.Ex de Steve Gerges investit actuellement la surface de projection de l’Exit. Il est à regretter que, pour ne pas trop perturber l’ambiance du bar, cette peinture abstraite en mouvement ait été amputée de son univers sonore, sans lequel elle ne prend pas complètement son envol. Mais ce voyage d’un cercle blanc qui s’anime progressivement pour se transformer en sphère réfléchissante noire avant de traverser maintes mutations anguleuses colorées menant fatalement vers une explosion, est un bijou sensoriel qui vaut le détour.