Toutes proportions gardées, bien évidemment, le Luxembourg est un pays très riche en ce qui concerne la publication de livres de poésie, la maison d’édition la plus attirante pour les poètes étant et restant les éditions Phi. Nous connaissons tous les petits livres de la collection Graphiti, avec leurs couvertures blanches comme parsemées de ces petits bonhommes dansant et sautillant et se tortillant. Deux nouveaux recueils viennent de paraître dans ladite collection, En venir au point de Paul Mathieu et Feuillets de plomb de René Welter. Deux recueils assez différents somme toute : un premier livre, que l’on pourrait, de façon effrontée, caractériser de bavard, comparé au deuxième, dont l’écriture est plus brève, plus tranchante.
Mais En venir au point comporte des poèmes de tout type, répertoriés par chapitres, en vers libres, brisés, en prose, qui varient en longueur tout aussi grandement qu’en sujet. Ça parle d’Ulysse « au confins de Charybde » ou de la pelure d’une orange (un des meilleurs textes). L’on constate quelque chose comme une recherche formelle, un travail du blanc, de l’espace, à l’intérieur parfois d’un même vers. L’effet peut paraître incongru, légèrement troublant. Les illustrations qui accompagnent, comme toujours, les textes, en l’occurrence de Jean Morette, très simples, en noir et blanc (un paysage, une route à travers un champ, des arbres), sont loin de déplaire.
Les poèmes de Feuillets de plomb, dont déjà le titre fait penser à Celan, et dont les textes sont nés, selon les mots de l’auteur, « de la confrontation et du dialogue avec les œuvres de Kiefer [Anselm, bien sûr], notamment Chute d’étoiles au Grand Palais à Paris en 2007, les poèmes de Célan et de Bachman », sont donc plus brefs, plus hachés. Chaque poème est composé de quatre à six distiques et d’un vers final. Cette forme donne aux textes un rythme très frappant, une cadence forte, comme un martèlement dur. Et chez René Welter forme et fond ne font qu’un : les poèmes parlent de déportation, d’étoiles jaunes, de monstruosités commises il n’y a pas si longtemps : « tout code barre/ rappelle le numéro/ qui continue/ à brûler sous la peau/ de l’avant bras ». Une grande force émane de la simplicité apparente de ces textes.
Le recueil de Feuillets de plomb est suivi des quelques poèmes en hommage à José Ensch, regroupés sous le titre À main courante, empreints d’une grande douleur : « c’est toujours le dernier/ qui reste qui écrit/ la préface ». René Welter a écrit la préface de L’Aiguille aveugle, le dernier recueil de José Ensch à avoir paru chez Phi. Deux recueils divers donc par bien des points, mais qu’une chose réunit sans doute : choix du mot, de la lettre, de l’ordre à suivre, souci de l’arrangement, de la composition : « tisser et métisser les mots », dit Paul Mathieu. Travail de poète, travail d’artisan, aurait probablement dit José Ensch. Un travail auquel il convient de reconnaître toute sa noblesse.
Paul Mathieu : En venir au point ; Éditions Phi, mars 2009, 120 pages ; ISBN 978-2-87962-261-3. // René Welter : Feuillets de plomb ; Éditions Phi ; mars 2009 ; 80 pages ; ISBN 978-2-87962-262-0.