1 Un anniversaire et un record. La biennale remonte à 1895, 120e anniversaire donc, même si l’on n’en est qu’au numéro 56, il y a eu les guerres. Et le record, c’est le nombre de nations présentes, quatre-vingt-neuf. En fait, la biennale, c’est bien plus encore, car outre l’exposition internationale (assurée cette année par Okwui Enwezor) et les participations nationales, il y a ce qu’on appelle les événements collatéraux, reconnus officiellement ou carrément off. Quelque 200 en tout.
All the World’s Futures, telle est la volonté affichée, l’ambition démesurée, telle est la promesse non tenue par le curateur. Impossible à tenir, concédera-t-on. Et si l’on veut quand même bien y croire, ça commence de façon très pessimiste, quasi désespérée, avec la quinzaine de drapeaux noirs qui pendent à l’entrée du pavillon central. Ne resterait-il que le deuil à faire d’un autre monde, d’un autre art ? Pis, les premiers pas sont accompagnés par les toussements, un homme qui au long de trois minutes crache ses poumons, rend l’âme, d’une vidéo de Christian Boltanski. C’est fort, mais ça date de 1969.
À défaut de véritable parcours, ou discours si l’on préfère, à chacun de se frayer son chemin, de faire ses choix, de retenir par exemple la salle, et pardon de rester dans le macabre, des crânes, ils sont 36, d’expressions très différentes, de Marlène Dumas. Sortons-en, et on pouvait quand même compter sur Okwui Enzewor pour aller vers d’autres continents, avec la très belle salle, atteignant à une grandeur mythique, de Wangechi Mutu, du Kenya, dans sa vidéo comme dans sa sculpture.
Plus prosaïquement, le reproche porte sur les conditions où le visiteur est mis devant les œuvres. Trop de distraction, par la vue, par l’ouïe, c’est dommage pour Alexander Kluge, plus encore pour Harun Farocki, à quoi bon étaler son archive de films sur cette pléthore de petits écrans. C’est vrai, nous vivons au temps des images passantes, plus la vitesse est grande, moins on en saisit. Contraste (comment concilier les deux) avec tels dessins, exemplaires, de Rirkrit Tiravanija, Demonstration Drawings, d’un fort impact, de la Russe Olga Chernysheva, Graphic Performatives, d’une exquise poésie.
2 Opposition tout aussi accentuée du côté des pavillons nationaux, avec d’une part ceux marqués par un amoncellement de toutes sortes d’objets, un trop-plein carrément, comme si seul l’esprit de collection avait prévalu, de l’autre ceux où l’artiste est allé vers la plus grande réduction, minimalistes. Et par-dessus cette considération générale, la déception des grandes nations, au bout, en haut de l’allée où l’on s’engage à droite dès l’entrée.
La prédilection porte au dépouillement formel, d’autant plus le bienvenu qu’il s’associe au lieu. Chose faite par Heimo Zobernig avec le pavillon autrichien de Josef Hoffmann, dans sa façon de revoir la modernité, de la pousser à l’extrême ; plus besoin dès lors d’y mettre des œuvres, quelles qu’elles soient, l’ouverture au jardin suffit. Autre exemple, le pavillon serbe, d’Ivan Grubanov, un champ de bataille sobre, mais parlant, de pièces de tissu, à y regarder de près, des drapeaux, United Dead Nations, dont les noms sont inscrits aux murs. Venise ou le maintien des nations, un concept contraire trouve là son expression plastique adéquate.
3 Tous les deux ans, une sorte d’excursion, on reste dans la biennale, et on est un peu en dehors. Aller à l’île de San Lazzaro degli Armeni, avec son couvent fondé il y a trois siècles. Raison qui a joué peut-être, avec le génocide il y a cent ans. L’Arménie a eu le Lion d’or, et c’est mérité, rien que pour l’idée de réunir des artistes, une quinzaine, de la diaspora. Et puis, à chaque fois, c’est un véritable plaisir d’aller à la recherche des œuvres (d’art contemporain) dans ce contexte, notamment dans la bibliothèque, parmi d’autres collections.
En plus, il y a la présence de Sarkis, artiste vivant à Paris, et représentant de la Turquie à l’Arsenale. Il a mis de l’or sur un os de mammouth, trouvé à Romain-La-Roche, posé là au pied d’un escalier, sorte de fondement qui remonte à deux cent mille ans avant notre ère.
Plus loin que San Lazzaro, il est une autre île qui, elle, n’est pas habitée, Lazzaretto Vecchio. L’endroit fut créé pour héberger les lépreux, pour isoler les malades arrivant par la mer. Il offre de merveilleux espaces, dans un état de délabrement hélas ; une association, avec peu de moyens, fait de son mieux, a l’espoir d’y installer un Museo della Città, qui fait défaut à ce jour dans la lagune.