En avril 1966 paraissait une petite annonce dans The Village Voice New York : « The Silver Dream Factory Presents The Exploding Plastic Inevitable with Andy Warhol/The Velvet Underground/and Nico. » L’événement eut sa première au Dom et tourna ensuite durant deux ans à travers le pays. Exploding Plastic Inevitable fut une performance immersive révolutionnaire à l’époque, un véritable Gesamtkunstwerk avec des projections des films expérimentaux d’Andy Warhol, la musique du Velvet Underground, des effets lumineux et des danseurs de la Factory, notamment Mary Woronov et Gerard Malanga sur scène avec les musiciens. Le film de Ronald Nameth (disponible sur Youtube) ne peut forcément n’en rendre que partiellement compte en deux dimensions. The Exploding Plastic Inevitable est la pièce maîtresse de l’exposition Warhol Underground qu’Emma Lavigne, la nouvelle directrice du Centre Pompidou Metz et spécialiste des liens entre musique et arts plastiques, organise actuellement au premier étage du centre. Une salle entière y est dédiée à cette œuvre à multiples couches, où sont superposés plusieurs images sur les quatre murs de la salle, avec la musique du Velvet Underground en fond sonore. L’expérience, unique, est déroutante, tellement la composition et le mouvement des images enchevêtrées a des réminiscences psychédéliques. À elle seule, pour vivre cette expérience d’une installation historique « réactivée » (photo), l’exposition vaut le détour.
Les rétrospectives Andy Warhol sont foison depuis un demi-siècle, elles font toujours un carton au box-office. L’homme à la perruque blond platine et ses hymnes au consumérisme par des images clinquantes et faciles d’accès, celui qui promit « un quart d’heure de gloire » à tout le monde, fascine toujours. Tout le monde connaît ses multiples des soupes Campbell ou des boîtes de lessive Brillo. Or, Emma Lavigne promet de faire découvrir un autre Warhol, plus underground, celui de la Silver Factory sur la 47e rue, qui, au milieu des années 1960, installe un grand studio aux murs recouverts de feuille d’aluminium miroitante dans un loft désaffecté, où tout le monde sera artiste, tout le monde pourra participer. « The Pop idea, after all, was that anybody could do anything, so naturally we were all trying to do it all », expliqua-t-il dans une de ses nombreuses interviews. L’année charnière de l’exposition est 1965, lorsque Gerard Malanga fait découvrir le Velvet Underground, groupe constitué de Lou Reed, John Cale, Sterling Morrison, Maureen Tucker et Doug Yule, à Andy Warhol. « [Warhol et moi] étions faits l’un pour l’autre, est cité Lou Reed dans l’exposition. Les sujets des chansons écrites avant notre rencontre correspondaient parfaitement avec les sujets de ses films. [...] Andy nous a donné l’opportunité d’être le Velvet Underground. Concrètement, nous n’étions rien, zéro, personne ne nous connaissait, personne ne s’intéressait à nous. » Et Andy Warhol : « Notre groupe tout droit sorti de New York (lamé argenté, cuir) semblait parfaitement incongru au milieu de la population bronzée et en bonne santé du Massachusetts ». Warhol deviendra leur producteur et fera d’eux, comme des jeunes femmes en fleurs qui trainent à la Factory, des superstars.
1965, c’est la guerre froide, l’année où les États-Unis s’engagent définitivement au Vietnam pour y aller s’enliser, l’homme rêve encore d’atterrir sur la lune, Jim Morrison forme les Doors et Johnny Hallyday épouse Sylvie Vartan. Ce sont les roaring sixties, le consumérisme prend son envol – et en France naît l’artiste Dominique Gonzalez-Foerster. Un détail, si elle n’avait créé la scénographie pour l’exposition 1984-1999 – La Décennie, sur la jeune scène française des années 1990, qui a eu lieu dans cette galerie jusqu’au début de cette année. Emma Lavigne a choisi de garder, au moins partiellement, le parcours et les murs de cette exposition, avec des ouvertures sur d’autres salles, peut-être pour des raisons d’économie. Mais cela s’y prête bien, ça fonctionne et en plus, ce clin d’œil traduit une continuité dans l’évolution de la transdisciplinarité.
Le Warhol Underground montré à Metz est un artiste aux aguets de ce qui se passe dans toutes les autres disciplines, qui écoute John Cage, regarde le travail de Robert Rauschenberg et de Jasper Johns et travaille avec Merce Cunningham (on peut notamment se promener dans une mer de Silver Clouds imaginés par Warhol pour la chorégraphie Rain Forest de son ami). Un artiste politiquement engagé aussi, conscient de l’omniprésence de la mort (une belle série de ses Electric Chairs réunis dans une salle). Mais, à part quelques-unes de ses sérigraphies, notamment la belle série de Ten Lizes argentées en ouverture, ce n’est pas une exposition de ses peintures, tout simplement parce que au moment de la Factory, Warhol a arrêté de peindre (« Je voulais être danseur à claquettes » aurait-il dit), pour se consacrer entièrement au son, à la musique, au cinéma – et à l’échange à la Factory. Il tourne Sleep et Empire, ses films radicalement immobiles, il crée des affiches et des pochettes de disque pour ses amis musiciens.
L’exposition s’ouvre sur une reconstitution de la Factory, avec une impressionnante archive de photos en noir et blanc de l’endroit et de ses occupants par Stephen Shore, Nat Finkelstein, Billy Name ou Steve Schapiro, e.a. Et c’est aussi un des points faibles de Warhol Underground : un culte excessif de la personnalité de l’artiste et de ses starlettes, qui certes, en jouaient eux-mêmes, mais, visiblement enthousiaste de la richesse de la documentation de l’époque, Emma Lavigne s’est laissée entraîner jusqu’à l’excès sur cette voie. Warhol par lui-même, Warhol par les autres, Warhol traversti... L’homme en devient lui-même une marque, un logo, caricatural. Joachim Biehler, jeune artiste lorrain invité à créer une œuvre en écho à la partie historique, a d’ailleurs poussé l’idée de la starification à son paroxysme en invitant dix sosies de Warhol à déambuler dans l’exposition le soir du vernissage – ça en devenait tautologique. Mais peut-être que cet hommage au « pape du pop-art », en transformant les spectateurs en disciples, n’est que la continuation de son œuvre, un commentaire aussi sur le fait que sa fascination pour les stars et son narcissisme ont aidé à engendrer Facebook, Instagram et les selfies (d’ailleurs, l’exposition a son propre hashtag : #WarholUnderground).