Peinture au couteau L’exposition retrace l’évolution de l’œuvre pionnière de l’artiste née en 1930 à Wiesbaden et décédée en 1985 à Francfort-sur-le-Main, « une artiste peut-être moins connue », souligne Suzanne Cotter, directrice du Mudam. Nouvelle mise en visibilité à la faveur d’une relecture de l’histoire de l’art jusque là très masculine ou juste redécouverte d’une plasticienne trop longtemps portée à l’ombre, la rétrospective dresse un impressionnant panorama des travaux de l’artiste. Elle permet d’appréhender le passage au minimalisme, une traversée qui point au fur et à mesure que le spectateur chemine au travers d’un paysage de tôles, cartons et usinages parfois assemblés, parfois volontairement isolés des autres comme pour donner libre cours à ce que la pièce recèle intrinsèquement, à ce que le dévoilement de son intimité met à nu. Au départ, il y a donc ces peintures aux couleurs très vives, abstraites. Très peu de blancs. La couleur y supplée. Puis, assez vite, ces peintures que Charlotte Posenenske travaille au couteau. Là encore peu de blancs. Et puis, l’espace s’ouvre progressivement, en relation avec des couches de couleur noire à l’espace circonscrit à l’image de Rasterbild (Grid Picture) dès 1957. Bientôt l’espace sera davantage inventorié et, dans le même temps, de cette géométrie des formes émergera une forme de mystère, mystère que la tridimensionnalité et l’incursion incongrue de ses formes dans l’espace public chargeront de faire signe vers le spectateur.
Entrée du spectateur Car c’est aussi en cela que réside la force du travail de Charlotte Posenenske : parvenir, en dépit de la radicalité esthétique de ses œuvres, à intégrer un spectateur qui aurait pu se contenter de rester sur le bord du chemin, le bas-côté des œuvres et qui, à la place, y fait son entrée. L’artiste travaille l’ouverture. Ses sculptures ne sont volontairement pas fermées, on pourrait s’y glisser, ramper au travers de ses usinages et en ressortir, ayant fait l’expérience de l’art. Tout comme le choix de matières peu onéreuses (carton…), Posenenske revendique la reproductibilité de ses œuvres, ultime pied de nez à une forme de sacralisation de l’artiste et de son travail au cœur de ces années soixante chargées de déboulonner les héros et de rapprocher l’art de la vie. Les modèles de Posenenske peuvent donc être « vissés ensemble », ou pas comme elle aime à l’écrire dans un petit texte intitulé La meilleure des sculptures : « L’objet est, pour l’essentiel, très simple : Tous les éléments sont creux et les mesures sont telles qu’ils s’adaptent les uns aux autres. (C’est la raison pour laquelle les agencements fonctionnent par la suite.) ». Détaillant dans la suite du texte les mesures du tube carré et du tube rectangulaire, elle note que « Les éléments peuvent être vissés ensemble. Des formes intéressantes sont ainsi créées (des formes sculpturales, bien sûr). ». Cette simplicité revendiquée et cette possibilité d’infinis assemblages produisent un effet inattendu dans l’espace public.
Espace public Charlotte Poseneske ne donne pas seulement à voir. Son travail revendique et révolutionne. Clément Minighetti, commissaire de l’exposition, assisté par Sarah Beaumont, remarque à ce propos : « L’œuvre de Charlotte Posenenske remet en cause trois fondements du marché de l’art par des œuvres développées en séries illimitées et des méthodes de production industrielles, des structures tubulaires et le questionnement autour de l’artiste en tant que seul auteur ». Les films projetés dans l’espace d’exposition permettent également de prendre la mesure du caractère expérimental et révolutionnaire du travail de l’artiste allemande. Posenenske, qui a été l’élève de Willy Baumeister, a également ce sens du « staging, de la mise en scène » relève encore Suzanne Cotter. Les tubes s’arcboutent aux murs, se croisent, se recroisent, forment des angles en hauteur ou en longueur. Les différentes matières s’entrechoquent. Les structures pourront aussi être assemblées de façon non identique. À l’image de la contagion du blanc sur une surface plane peinte, ils offrent une infinité de regards, tranchent avec une perspective choisie qui serait celle de l’artiste en tant qu’auteur et qui convoquerait un sens univoque. Ces possibilités infinies de combinaisons se marient de manière parfois surprenante à l’espace public, à la rue, à la place, au carrefour comme l’exposition le montre au travers de vidéos. Sculptures conçues comme lieux de transits, connections, elles voyagent aussi. L’exposition retrace ces douze années de travail de l’artiste et le passage vers le minimalisme. Des propositions spatiales qui bousculent. Indéniablement.