Les concerts donnés dans la vieille église Saint-Laurent, en plein cœur de Diekirch, ne laissent jamais vraiment indifférent. Même si la bâtisse est très bien entretenue, les murs, avec ses ornements, ses peintures fantômes et ses craquelures, confèrent aux lieux une authenticité rare. L’acoustique y est à tomber et en ce samedi 1er février, le public s’y est déplacé pour entendre de la voix. Ce début d’année marque le retour du festival A Cape’lla, événement biennal, unique en son genre au Grand-Duché et consacré au chant a cappella. Organisé par le Cape (Centre des arts pluriels d’Ettelbruck) en partenariat avec la ville de Diekirch et l’Inecc (Institut européen de chant choral), cette troisième édition représente un sacré défi. Celui d’attirer un public vers une discipline assez peu mise en avant dans le pays, d’autant plus que l’édition précédente était plutôt réussie. Les personnes présentes il y a deux ans de ça se souviennent sans doute de la prestation de Anna-Maria Hefele, ambassadrice du chant diphonique et de son nyckelharpa, magnifique instrument suédois, dont l’utilisation avait marqué un écart dans le concept même du festival. Un écart plus que pardonné.
À seize heures, l’église Saint-Laurent donc, accueille les quatre jeunes chanteuses de Voix Claires. Isabel Geelhaar, Hermine Weidmann, Hannah Groth et Lena Sabel traversent la nef et se positionnent face à l’audience, plutôt âgée il faut dire, excepté un enfant qui passe son temps à gesticuler. Des techniciens avec leurs caméras sont à l’affut de part et d’autre de la bâtisse. Sebastian Göring présente les morceaux qui vont être interprétés, y allant parfois de son bon mot. L’introduction se fait avec une chanson issue du folklore Balkan, Kafal sviri. Ou lorsque quatre voix unies donnent l’impression d’en entendre dix. Les chanteuses se lancent parfois des regards de tendresse et leur interprétation convainc. Leurs voix sont belles, parfois fragiles mais constantes. Il faut bien faire preuve d’assiduité pour enchaîner 80 minutes durant un répertoire, varié et assurément ludique. Un répertoire où cohabitent Il est bel et bon (1534) de Pierre Passereau et White Winter Hymnal (2008) du groupe d’indie folk américain Fleet Foxes. Le dernier titre cité est d’ailleurs l’occasion pour les chanteuses de laisser libre cours à leur talent de comédiennes. Elles sortent de l’église sous des applaudissements nourris.
Plus tard, dans le foyer du Cape, les chanteuses et les chanteurs de The Single Singers se retrouvent face à un public déjà plus varié. Le concept a du mérite. La troupe offre l’occasion à des artistes venus seuls en festival de chanter dans un groupe. Les artistes ne se connaissaient donc pas pour la plupart il y a encore deux jours et ont répété chez eux les partitions. Cela se ressent et le résultat n’est franchement pas glorieux. Sur Shallow et sur Shape of you version chorale désordonnée, la troupe donne à l’auteur de ces lignes, qui n’aimait déjà pas ces deux chansons, une nouvelle raison de camper sur sa position. Ce petit apéritif précède l’arrivée de l’ensemble Luxembourg Jazz Voices qui avec ses sympathiques reprises de Gershwin ou de Stevie Wonder, rassure l’audience. Au moment même où le premier morceau se termine, un bouchon de champagne saute et fait sursauter les spectateurs, hilares. Beaucoup de scats et d’envolées jazzy complètent une prestation d’une demi-heure, servant surtout à chauffer le public pour le spectacle qui va suivre.
Vers 20 heures, dans la grande salle, un jukebox trône à gauche de la scène. Pour conclure la soirée, deux formations vont se succéder. Les Belges de Jukevox et The Beatbox Collective, des Britanniques, anciens champions du monde de beatboxing, invités il y’a deux ans mais déprogrammés à la dernière minute. Leur avion ne pouvait alors pas décoller de Londres à cause d’un brouillard particulièrement dense ce soir-là. Dans son discours de présentation, le directeur artistique des lieux Carl Adalsteinsson rappelle que le Brexit ne viendra pas à bout de l’amitié et des qualités artistiques qu’entretiennent les Britanniques avec le reste de l’Europe.
On entend du brouhaha, ambiance café. Les cinq membres de Jukevox entrent en scène. Oriane Simon, Véronique Schotte, Valentine Uytterhoeven, Joachim Willimès et Pierre de Neuville sont vêtus de bretelles, du genre tenanciers de café, style années cinquante idéalisées. Leur spectacle très réussi consiste en l’interprétation de chansons très catchy allant de Freed from desire à Rolling in the deep en passant par Mr. Sandman, tout en harmonie vocale. Le tout est ponctué par des scénettes hilarantes où les artistes essaient de trouver des pièces de monnaie pour mettre en route leur jukebox. Ainsi, lorsqu’un spectateur offre une pièce, les trois chanteuses lui font du charme sous les regards jaloux des deux chanteurs. Un numéro franchement irrésistible. Arrive une parenthèse de musiques des films Disney, assez facile, puis une autre, où sont interprétés deux titres extraits de la bande originale de Gladiator. Le public est conquis et la soirée se prolonge avec du beatboxing.