Après une première semaine riche en concepts, le festival Rainy Days a redoublé de rythme et d’ambition du 28 novembre au 1er décembre. Les amateurs de musiques nouvelles ont d’abord eu droit à des concerts de l’Orchestre National de Metz et de l’Orchestre Philharmonique de Luxembourg en semaine, avant de vivre un week-end riche en évènements.
Samedi matin, la salle Robert Krieps accueille la Luxembourg Composition Academy pour un concert de clôture. Organisée par l’United Instruments of Lucilin et Neimënster, l’académie éphémère initiée en 2017 consiste en une série de workshops dispensés, une semaine durant, à huit jeunes compositrices et compositeurs triés sur le volet. Placés sous la houlette de Philippe Leroux et d’Elena Mendoza, les huit élus présentent au public, surtout institutionnel il faut l’avouer, des œuvres composées pour l’occasion et interprétées par les artistes de Lucilin. Des pièces signées Anne Castex, Daniel Serrano, Mijin Oh, Giulia Monducci, Francisco Uberto, Hendrik Rungelrath et Pablo Andoni.
Des silences et des grondements, des opérations à ventre ouvert du piano ou encore des coups d’archets dans le vent s’enchaînent. À l’image de ses élèves, tous précédemment montés sur scène pour présenter leurs œuvres en quelques mots, Philippe Leroux annonce Postlude à l’épais, conclusion du spectacle. Sa principale source d’inspiration est une expérience quasi métaphysique qui lui est arrivée lorsqu’il avait quinze ans. Celle de l’observation d’un vol de corbeau par la fenêtre d’un train en marche, suivi d’un assoupissement et d’un réveil, résultant sur la vision du même corbeau, mais les paysages défilant dans un sens inverse, le train ayant changé de direction entre temps. Une brèche temporelle mise en musique et dont l’intensité fait que la cheffe d’orchestre Elena Schwarz en fait tomber sa partition durant la représentation.
Plus tard, à la Philharmonie, le Mivos Quartet prend le contrôle de la Salle de Musique de Chambre. Olivia De Prato et Maya Bennardo sont aux violons, Victor Lowrie Tafoya à l’alto et Tyler J. Borden au violoncelle. La troupe New-Yorkaise brille particulièrement en interprétant Doll Time, une commande originale signée Chikako Morishita. Basé sur un texte de Yasunari Kawabata, prix Nobel de littérature, l’œuvre alterne entre des pics stridents et des moments délibérés de malaise durant lesquels les quatre artistes se tournent face au public et récitent mécaniquement le texte d’origine. Ces instants désincarnés bousculent l’audience et la compositrice, présente dans la salle, est chaudement applaudie.
Le soir, rendez-vous est donné dans l’Espace Découverte pour une soirée conceptuelle orchestrée par Phill Niblock, vidéaste, compositeur et figure avant-gardiste de la musique drone, 86 ans au compteur. Sur le mur du fond, deux écrans sur lesquels sont projetés des films de l’artiste. Ce dernier, assis face à son ordinateur, fait vrombir le sol de la salle, recouverte de chaises et de coussins. Certains n’hésitent pas à s’allonger à quelques mètres des écrans, boules Quiès vissées. Trois heures durant, le guitariste Guy De Bièvre, le saxophoniste Christian Kobi et le contrebassiste Arne Deforce explorent la scène et élèvent encore un peu la qualité de l’expérience.
Le lendemain, de nombreux concerts s’enchaînent du matin jusqu’en milieu d’après-midi. Vers seize heures, les couloirs de l’institution sont déserts, tandis que retentissent d’incessants sons qu’on pourrait prendre pour des bruits d’assiettes et d’ustensiles qui claquent. Une véritable mélodie de vaisselle. En vérité, de nombreux petits haut-parleurs installés à travers toute la Philharmonie retransmettent des sons créés par Echotrope, une installation sonore de Nika Schmitt, enfermée dans le pentagone de Bert Theis, place de l’Europe. C’est une Philharmonie miniature et transparente avec ses centaines de colonnes que des bâtonnets munis de micros viennent taper, créant des battements irréguliers. Un système ludique, enfantin sur le papier mais surprenant, un peu à la manière du spectacle final, Happiness machine.
On retrouve à peine une centaine de personnes dans le Grand Auditorium. Dix réalisatrices de films d’animation et dix compositrices y présentent leur regard artistique sur l’économie de l’intérêt général. Le tout est mis en musique par les musiciens du Klangforum Wien. Parmi les films projetés, on retient surtout The Flounder d’Elizabeth Hobbs et sa relecture impressionnante du Pêcheur et sa femme des frères Grimm, tout en croquis et collages. Mentions spéciales pour Pantopos d’Eni Brandner et son stop motion qui fait penser à du Jan Švankmajer et à The Happiness machine signé Ana Nedeljković et sa simulation de jeu vidéo en pâte à modeler, critique des entreprises qui privilégient un peu trop mal sainement le profit au détriment du bien-être de leurs employés. Les applaudissements sont timides, la soirée se poursuit avec un désormais traditionnel bal contemporain.