« Less is more », c’est le principe esthétique mis en avant cette année par le festival Rainy Days, grande célébration de musiques nouvelles, deux semaines durant. Le coup d’envoi est donné au Grand Théâtre, vendredi 22 novembre, avec Abstract Pieces du compositeur allemand Manos Tsangaris. Un théâtre musical pour acteurs, instruments, espace et lumière. À l’entrée du Studio, l’audience est divisée en deux groupes distincts. Ainsi, deux publics se font face, avec entre eux, la scène. Des techniciens dévissent une plaque recouvrant une caisse en bois en guise d’introduction. Le premier groupe suit les agissements d’un trio d’artistes vêtus de noir. À sa tête, la mezzo-soprano Marielou Jacquard. Cette dernière chante, s’allonge puis à l’aide d’une petite caméra, filme en gros plans des objets disposés sur le sol, parmi lesquels une maison miniature, une rappe à fromage ou encore une araignée en plastique. Ce qu’elle capte est diffusé sur un vieux téléviseur.
Le second groupe suit pendant ce temps un autre trio, vêtu de blanc, et dirigé par le baryton Cornelius Uhle, réincarnation de Dionysos le temps de la performance. Des images, des mots et des concepts sont projetés sur les ventres des artistes. Uhle enfume l’audience – au sens premier du terme. À l’arrière-plan, Marielou Jacquard est de dos. Autour d’eux, une grande table de mixage, deux pianos et divers instruments empoignés ponctuellement par les musiciens. Vous l’aurez compris, chaque groupe suit le même spectacle, mais d’un point de vue différent. Après l’entracte, le spectacle est joué à nouveau, quasiment à l’identique, mais cette fois-ci, les deux groupes sont intervertis. Si le concept a de quoi passionner, on en découvre ses limites assez rapidement. Les imprévus de la première représentation – comme un micro récalcitrant ou un tabouret cogné par inadvertance – ne sont pas reproduits, de sorte que l’effet miroir n’est pas total. La nature même du spectacle vivant empêche donc l’illusion de produire tous ses effets. Le public est tout de même happé. Les techniciens reviennent refermer la caisse en bois en guise de conclusion.
Le lendemain, les ensembles Noise Watchers et Ars Nova Lux prennent le contrôle de l’Espace Découverte pour Lux nova. On retient une longue pièce jouée par un acousmonium, comprendre un orchestre de haut-parleurs dispersés à travers toute la salle. Des bandes rembobinées, des bruits de vagues et des battements binauraux se font entendre. Plus tard, une pièce piano/violon franchement difficile d’accès est toutefois chaudement applaudi. Si le tout a des airs de concert diffusé sur Arte après minuit, on ne ressent aucune velléité élitiste de la part de la troupe, jamais austère, transpirant au contraire la passion et la bonhomie. Le soir même a encore lieu un ciné-concert de L’Âge d’or de Luis Buñuel.
Dimanche 24, sont programmés les incontournables musiciens de l’United Instruments of Lucilin dans la Salle de Musique de Chambre. On découvre d’abord un autre concept, Sonic Meditations, une expérience collective imaginée par Pauline Oliveros (1932-2016). Chaque nouvelle entrée dans la salle est saluée par un regroupement de sons émis par les spectateurs déjà en place. Le but étant de capturer un son, de s’asseoir et de le reproduire à chaque fois qu’une nouvelle personne entre, et donc de créer une communion méditative. Les artistes de Lucilin, assis dans les rangées, se lèvent et sont rejoints sur scène par la soprano Sarah Maria Sun et par le chef d’orchestre Julien Leroy. S’ensuivent deux longues pièces dont Infiniti nero signée Salvatore Sciarrino. Un long sommeil paisible ponctué par des clics, non pas de bouche mais d’instrument à vent, de respirations sourdes et de brefs mais intenses retours à la réalité. Après la représentation, Sarah Maria Sun remonte sur scène pour un talk avec Lydia Rilling, directrice artistique du festival, dans le cadre des résonances, une série de conférences et discussions toujours bien senties.
Le soir, dans le Grand Auditorium, on attend avec impatience de découvrir un concert visuel des œuvres de Gerhard Richter sur une musique de Steve Reich – ou l’inverse –, par l’Ensemble intercontemporain dirigé par le jeune et fringant chef d’orchestre George Jackson. En guise d’amuses-bouches de choix, le public (re)découvre deux pièces phares du compositeur américain. Piano Phase et Eight Lines. À l’entracte, on tend l’oreille pour écouter les débats mouvementés des amateurs éclairés. Arrive le plat de résistance, Reich/Richter, une récente composition étonnamment irrégulière. Sur un grand écran, des œuvres de Richter extraites de sa série Patterns (2011) et mis en mouvement par Corinna Belz. D’abord des bandes colorées qui défilent, puis des caléidoscopes et transitions en fondu sur de l’abstrait transformé. Les motifs hypnotisent mais on ne peut s’empêcher de prendre le film comme un simple habillage visuel, tant la musique retient l’attention. Les 38 minutes que durent la pièce passent à vitesse grand V.