Le Tribunal administratif a annulé le 8 mai dernier (affaire 30 187) le marché du nettoyage de dix bâtiments publics octroyé en 2011 par le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Bertrange (coalition DP/Verts) à la société ABSC en raison des défaillances dans la procédure d’attribution au regard de la réglementation de 2009 sur les marchés publics. Un concurrent de ABSC, la société NIC Building Services, est à l’origine du recours après avoir longtemps effectué elle-même les travaux de nettoyage à Bertrange et en avoir été brutalement écartée, officiellement en raison de ses tarifs moins avantageux. L’affaire, de par son opacité mais aussi en raison de la structure de l’actionnariat de ABSC, dans laquelle, outre l’industriel Christian Thiry et l’entrepreneur Roland Kuhn, on trouve une société en liquidation, IBHF, et une autre sàrl, ICC, constituée par l’avocat Claude Geiben, un des associés de l’étude Schaeffer (Nicolas Schaeffer siège au conseil communal de Bertrange sous les couleurs du CSV), Hengel, Geiben & Associés, mérite assurément une mention spéciale.
Tout commence par un courrier recommandé du 1er septembre 2011 que l’administration communale adresse aux dirigeants de NIC en leur annonçant la résiliation du contrat de nettoyage avec effet au 31 décembre suivant. Une entrevue avec l’entreprise avait eu lieu quelques semaines plus tôt, en juillet 2011, pour une révision et une adaptation des prix des contrats en cours. Toutefois, sans rallonge possible. Les contrats expiraient à la fin de l’année, « ceci aux fins de permettre entretemps la demande d’offre de prix comparatifs auprès de firmes concurrentes », selon la formulation de la commune, qui parle dans son courrier d’un « marché négocié », donc sans adjudication. C’est un coup dur pour NIC, qui a son siège social à Bertrange et qui s’était vu confier pendant des années (plusieurs décennies) le marché du nettoyage des bâtiment communaux, sans qu’il y ait d’ailleurs jamais eu d’adjudication publique pour les lui attribuer. Mais les temps ont changé. Dans son recours introduit devant le Tribunal administratif, l’avocat de NIC dénonce « l’opacité la plus complète » du marché ainsi que la violation de la procédure de marché négociés, conformément à la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics et son règlement grand-ducal d’exécution du 3 août 2009. Les dix contrats décrochés par son concurrent ABSC portant sur des services de nature identique ou similaire étaient à interpréter comme un ensemble représentant « au moins 327 897,36 euros », c’est-à-dire largement au-dessus du seuil de 55 000 euros permettant d’échapper à la réglementation sur les marchés publics. Or, Bertrange a contourné la loi en saucissonnant les lots en presque autant de marchés qu’il y avait de bâtiments à entretenir, jugeant qu’il s’agissait de plusieurs contrats différents, distincts et indépendants les uns des autres. Les dérogations aux dispositions sur les marchés publics ne sont possibles qu’à deux conditions cumulatives, lui ont rappelé les juges : respect du seuil de 55 000 euros et interdiction de procéder à un fractionnement du marché. « Il est interdit, insiste le Tribunal, de scinder artificiellement les prestations sollicitées dans le but de se soustraire à l’obligation de publicité et de mise en concurrence imposées par les directives ou pour pouvoir recourir à la procédure négociée sans publicité compte tenu du montant du marché ».
Et le marché total attribué à ABSC ne pèse pas 327 897 euros comme l’avait provisoirement évalué NIC, mais 625 589 euros. « Dès lors, le marché litigieux, attribué à la société ABSC s.a., considéré dans sa globalité, ne permet pas de passer des marchés de gré à gré, parce que, dans cette optique, il dépasse le seuil précité de 55 000 euros et que, dès lors, il aurait dû faire l’objet d’une soumission publique ». Le temps du copinage est bien révolu et les juridictions administratives veillent au grain.