Urbanisme et environnement constituent aujourd’hui, plus que jamais des segments de l’activité humaine et politique conjuguant des aspects tenant au développement économique, à l’habitat, au transport, à l’environnement et à l’écologie. Une mobilisation de plus en plus grande à partir des années 1970 pour des questions d’environnement a eu pour conséquences que le public, au sens large du terme, a revendiqué et a obtenu non seulement un accès à l’information, mais également une participation active, au processus réglementaire, avec de surcroît, un droit à la justice afin de faire valoir ses droits. Si le public est ainsi davantage impliqué dans la prise de décision par le biais d’une procédure participative, toujours est-il que cette participation risque, face à des projets de plus en plus complexes de retarder, voire d’anéantir leur réalisation.
La Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, dite convention d’Aarhus du 25 juin 1998, qui fut transposée en notre dispositif législatif par la loi du 25 novembre 2005 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement, devrait, au-delà de ses objectifs propres, relever de véritables défis pour une véritable politique urbanistique.
Le préambule y renvoie en retenant notamment que la participation du public dans le cadre d’un processus décisionnel « doit permettre de prendre de meilleures décisions et de les appliquer plus efficacement». L’objectif avéré de la convention d’Aarhus est, par conséquent, que la décision qui sera finalement adoptée sera meilleure et plus efficace à l’issue d’une procédure d’enquête que sans cet appel au public
Afin « de préserver et d’améliorer l’état de l’environnement et d’assurer un développement durable et écologiquement rationnel, de reconnaître que chaque citoyen a le droit de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé, son bien-être dans l’intérêt des générations présentes et futures », la convention d’Aarhus entend garantir la participation du public au processus décisionnel relatif à l’environnement dans trois hypothèses :
- Premièrement, dans le cadre de la prise de décisions relative à des activités particulières pouvant avoir un effet important sur l’environnement (article 6) ;
- Deuxièmement, à l’occasion de l’élaboration des plans, programmes et politiques relatifs à l’environnement (article 7) ;
- Et troisièmement, durant la phase d’élaboration de dispositions réglementaires et/ou d’instrument normatifs juridiquement contraignants d’application générale pouvant avoir un effet important sur l’environnement (article 8).
Ainsi, le public participe non seulement à l’adoption des décisions visées par l’article 6, mais également à l’élaboration des « plans et des programmes relatifs à l’environnement », telles que prévu par l’article 7 de la convention. Toute personne, indistinctement, qu’elle a un intérêt ou non, personne physique ou morale ou groupement dénoué de la personnalité juridique a le droit de demander des informations environnementales. Tout le monde bénéficie du droit de participer à l’enquête publique sans que le demandeur ait à justifier d’un quelconque intérêt particulier. Ce droit participatif que notre Conseil d’État, à l’époque, a qualifié de « révolutionnaire » dans son avis du 14 novembre 2000 (n° 44.138), a-t-il atteint ses objectifs, c’est-à-dire une véritable amélioration des décisions en matière d’environnement, est-il une avancée dans le cadre d’un processus « démocratique » ou plutôt à la fin un leurre permettant de poursuivre plutôt des intérêts personnels ?
Voyons à la lumière de quelques décisions prises en la matière par nos juridictions administratives si l’objectif visé par l’UE est atteint.
Le Tribunal administratif du grand-duché de Luxembourg dans un jugement du 28 mars 2011 a ainsi retenu : « L’article 6 de la convention d’Aarhus ayant trait à la participation du public aux décisions relatives à des activités particulières ne saurait trouver application en l’espèce (…), était donné que la création d’une ligne électrique à haute tension souterraine ne figure pas au nombre des activités limitativement énumérées en l’annexe 1 de la convention d’Aarhus qui doivent obligatoirement être soumises à une procédure de participation du public, alors qu’en ce qui concerne les activités non énumérées à l’annexe 1, leur inclusion dans le champ d’application de l’article 6 nécessite des mesures nationales de mise en œuvre ». En conséquence de quoi, à défaut d’être prévues parmi les activités limitativement énumérées à l’annexe 1 de la convention d’Aarhus, voire à défaut de prévision en droit interne d’une disposition spécifique, les dispositions ayant trait à la participation du public au pouvoir décisionnel ne jouent pas. Les arguments du demandeur se doivent d’être tels qu’ils répondent à des considérations environnementales pouvant influencer le pouvoir décisionnel.
Ainsi, en a décidé un arrêt rendu le 10 mai 2012, par notre Cour administrative : « Or, en l’espèce, les arguments développés (…) ont trait exclusivement à l’intégration dans le périmètre d’agglomération de diverses parcelles …, tandis que les demandeurs ont omis d’expliquer en quoi l’intégration de leurs parcelles dans le périmètre d’agglomération répondrait à des considérations environnementales qui auraient pu influencer le vote provisoire du projet de révision du PAG par le conseil communal de … ».
Il faudrait donc nécessairement que le demandeur précise en quoi sa revendication répond à des considérations environnementales et de surcroît, elle doit pouvoir influencer le vote au niveau d’une autorité publique, tel un conseil communal dans le cadre d’une révision du PAG.
Souvent, nous nous trouvons face à la situation que le contenu de la décision à prendre est déjà acquis ou pratiquement acquis pour la raison qu’une décision précédente ait été adoptée et que cette décision contribue nécessairement de manière décisive à fixer le contenu de la nouvelle décision à prendre.
Afin de faire respecter la disposition de l’article 6 §4 de la convention d’Aarhus, il faudra nécessairement que dans la première des procédures visées, on a dû procéder à une enquête. Ainsi en va-t-il si, avant l’adoption d’un plan ou programmes relatifs à l’aménagement du territoire urbain et rural, il implique l’organisation d’une enquête publique pour pareil projet. En pareille hypothèse, l’exigence telle que formulée par l’article 6 §4 de la convention ne saurait être remplie qu’à condition qu’une enquête publique n’ait eu lieu dans le cadre de cette première procédure.
Ainsi, si la première décision adoptée consiste en un plan ou programmes relatifs à l’aménagement du territoire urbain, pour que l’article 7 de la convention d’Aarhus soit respecté, il faut qu’il y soit procédé par une enquête dans cette première phase décisionnelle. Notre Cour administrative l’a ainsi rappelé dans la décision précitée du 10 mai 2012.
Concernant ensuite la prétendue violation des exigences inscrites à la loi du 22 mai 2008, tenant à l’élaboration préalable d’une évaluation environnementale, il y a lieu de rappeler qu’en vertu de l’article 2, paragraphes 1 et 2, sub a), de ladite loi, une évaluation environnementale doit être effectuée avant l’adoption de plans et programmes relatifs à l’aménagement du territoire urbain et rural, l’article 7 de la loi du 22 mai 2008 disposant qu’avant qu’un tel plan ou programme ne soit adopté ou ne soit soumis à la procédure législative ou réglementaire, le projet de plans ou de programmes et le rapport sur les incidences environnementales soit mis à la disposition du public.
L’article 6 §4 de la convention d’Aarhus impose aux parties de s’assurer que : « La participation du public commence au début de la procédure, c’est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence ». Cette disposition prévoit non seulement que l’enquête publique doit avoir lieu au tout début de la procédure et ce avant que tout processus décisionnel ait démarré. Ainsi, dans l’arrêt précité de la Cour du 10 mai 2012 on peut lire : « Dans cette optique, l’annulation des décisions prises en violation de ces règles ne sauraient entraîner leur annulation qu’au cas où celui qui s’en prévaut peut faire état d’éléments qui auraient pu et dû être pris en considération à ce stade précoce de la procédure et qui auraient été de nature à influer sur le contenu des plans et programmes à élaborer. » Par conséquent, il faut impérativement que le demandeur explique de manière circonstanciée en quoi ses reproches répondent à des considérations environnementales et qui auraient pu influencer le vote du projet en l’espèce un projet de révision du PAG.
Pour autant que l’information touche bien évidemment l’environnement et se trouve dans les champs d’application visés (voir (1), le concept des informations susceptibles d’être demandées est très large. Notre Tribunal administratif dans une décision du 12 novembre 2009 (n° 26000B) s’est prononcé : « L’accès à l’information constitue la règle générale et les dérogations prévues par la loi sont à interpréter de manière restrictive à travers une mise en balance à opérer dans chaque cas particulier entre un intérêt public servi par la divulgation et l’intérêt servi par le refus de divulguer. »
La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), dans un magnifique arrêt du 15 janvier 2013 a tranché de la sorte : « … des restrictions peuvent être apportées à l’usage de ce droit, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général et qu’elles ne constituent pas au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti. La directive en question ne permet pas aux autorités nationales compétentes de refuser au public concerné l’accès à une telle décision en se fondant sur la protection de la confidentialité des informations commerciales ou industrielles prévues par le droit national ou de l’Union afin de protéger un intérêt économique légitime. »
Il ne suffit donc pas aux administrations concernées de refuser sous de simples prétextes de divulgations qui sauraient porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public, voire la confidentialité des informations commerciales, industrielles et artisanales. Ces droits ne paraissent pas comme des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Il échet donc pour l’administration concernée de bien opérer un équilibre entre les exigences d’un droit déterminé tel le droit de propriété, voire un secret d’affaires et la protection de l’environnement.
Est-ce que l’objectif primaire de la convention d’Aarhus « à permettre de prendre de meilleures décisions et de les appliquer plus efficacement, … de sensibiliser le public aux problèmes environnementaux » fut-il bien atteint ? Certes, le fait que le public soit appelé à collaborer à la décision à intervenir dès le début de la procédure décisionnelle, contrairement à la pratique d’une enquête publique où le public est contacté au stade final constitue tel que l’a relevé le Conseil d’État en son avis au sujet du projet de loi portant approbation de la convention d’Aarhus daté du 14 novembre 2000 (n° 44.138) « (…) une innovation qui ne manquera pas de révolutionner le droit national en matière d’environnement ».
À notre sentiment, et sur base d’une analyse de décisions prises par nos juridictions administratives, dans le cadre de la convention d’Aarhus, ces droits sont avant tout utilisés afin de permettre au public (aux particuliers) de faire valoir leurs droits propres et intérêts privés, face à l’autorité publique, aux risques évidents que l’objectif primaire, à savoir un accroissement de l’effectivité des décisions ne soit pas atteint et souligne des carences évidentes de notre législation en matière d’urbanisme et d’environnement. Le droit à l’information et à la prise de participation décisionnelle a en pratique souvent comme seul corollaire un ralentissement des décisions.
Afin d’éviter que la participation ne devienne qu’une fin en soi, consistant à imposer des intérêts personnels, voire d’éterniser des procédures déjà suffisamment longues, il faudra que cette participation commence par une éducation et un effort réel pour nos administrations à assurer une information effective et efficiente à l’endroit du public. Il faudra, à notre avis, également procéder une fois pour toutes à un nettoyage de fond de la législation concernée, à l’uniformisation des procédures et notamment des enquêtes publiques, une harmonisation des procédures de consultations publiques et surtout un rapprochement des départements de l’urbanisme et de l’environnement. À féfaut de mettre à profit les impératifs de cette convention et de revoir en profondeur toute la législation touchant de près ou de loin l’environnement, l’aménagement du terriroire et l’urbanisme, nous risquons tôt ou tard un renvoi avec questions préjudicielles devant la CJUE aux conséquences de retarder notamment des projets d’envergure avec des effets néfastes sur une économie déjà bien ébranlée.
Ainsi, les risques inhérents à un alourdissement des procédures par le biais de la convention d’Aarhus étant évidents, il faut relever le défi et faire une remise en question profonde de notre législation en matière d’environnement et d’urbanisme qui seule pourra atteindre l’objectif primaire de la prédite convention, c’est-à-dire une amélioration dans la qualité de la prise de décision.
À défaut que notre Gouvernement ne procède à une véritable refonte des textes dans les domaines de l’urbanisme et de l’environnement, il faudra, à tout le moins, tendre à une harmonisation des procédures et à créer une véritable plateforme où interviennent tous les acteurs dans les domaines de l’urbanisme et de l’environnement. En l’état actuel, les objectifs de la convention d’Aarhus ne seront jamais atteints, au contraire, ils risquent de demeurer un leurre, et ces dispositions risquent ne n’être utilisées que pour des visées personnelles.