L’ascenseur monte tout seul au treizième étage. Rien à faire. Impossible d’ailleurs de faire quoi que ce soit. Après avoir annoncé sa destination, le visiteur du nouveau bâtiment administratif (architectes : Bruck & Weckerle) sur l’ancienne friche de Belval, coin avenue des hauts-fourneaux-avenue du rock’n roll, le visiteur est envoyé par les agents d’accueil à l’étage correspondant : Administration de la gestion des eaux, Commission nationale pour la protection des données ou, aux trois derniers étages, le Fonds Belval himself. Les couloirs, les bureaux, les salles de réunion – tout est standardisé. Nickel, bardé de technologie et de domotique, mais standardisé.
Ce n’est que lorsque l’on entre dans l’une des salles et que l’on s’approche des fenêtres que l’effet de surprise se produit : cette vue est à vous couper le souffle. La tour s’élève à la verticale à l’extrémité sud-est d’un quartier en devenir, et c’est là qu’on voit si ça fonctionne ou non. Étonnamment, la réponse est oui – ça commence à fonctionner. « Au carrefour entre l’histoire et l’avenir, » comme l’écrit un peu pompeusement Corina Ciocârlie dans le gros livre édité par le Fonds Belval pour son dixième anniversaire, la ville se fait, grâce à la « collusion de deux idées » que furent la reconversion de la friche de Belval et la création de l’Université du Luxembourg (ainsi que la décision gouvernementale d’implanter son rectorat et deux de ses trois facultés à Belval). Et ces idées qui, dans les concepts, sur les plans et les maquettes, semblaient comme une bien belle théorie deviennent soudain réalité en regardant du haut de cette tour : de nouveaux bâtiments jouxtent les hauts-fourneaux restaurés comme « monuments dans la cité », des carcasses de bâtiments industriels attendent une nouvelle destination (qui n’a toujours pas été fixée pour la Halle des soufflantes d’ailleurs), des grues élèvent à la vitesse grand V ces maisons thématiques pour l’enseignement et la recherche dont l’Uni.lu compte prendre possession en étapes dès la rentrée académique 2014.
En regardant vers l’ouest, à partir de ce bâtiment administratif très sobre, on a l’usine Arcelor-Mittal de Belval, toujours en activité, dans le dos, alors qu’à la gauche, la vue s’ouvre sur la France et sa nature. Actuellement, les principaux développements se font dans les deux quartiers de la Terrasse des hauts-fourneaux, autour de l’ancienne usine, essentiellement construit par le Fonds Belval – donc des investissements publics – et le Square Mile, vers l’ouest, où des investisseurs privés achètent des terrains à la société de développement Agora (constituée à parts égales par l’État et Arcelor-Mittal). Le sentiment d’une ville se ressent le plus autour des deux principaux axes que sont l’avenue du rock’n roll, longeant la Rockhal, la résidence Feierstëppler avec son hôtel et les deux centres commerciaux Belval-Plaza 1 et 2, et la Porte de France, autour des bâtiments rouge feu de la Bil. Ce furent d’ailleurs aussi les premières constructions achevées, les premières institutions où on commença réellement à travailler.
Seulement voilà : la perspective en direction des Belval-Plaza montre aussi une des très grandes faiblesses du site : la qualité erratique de l’architecture. Car là où des années de planifications, de masterplanning, de viabilisation des terrains par l’installation des réseaux techniques et de transport, précédèrent la phase de la construction, ce sont les investisseurs qui décident de l’esthétique et de la qualité du bâti. Et sur ce point, bien que le choix de construire de manière plus dense et à la verticale ainsi que les gabarits semblent juste, il faut bien se rendre à l’évidence que ce ne sont pas toujours les premières priorités d’un investisseur : non seulement les deux espaces commerciaux s’imposent-ils par une architecture tape-à-l’œil aux effets faciles (les couleurs, les vides, le verre...), mais en plus, et ce n’est pas nouveau, beaucoup d’entre eux avaient surtout comme objectif de faire vite – et la qualité s’en ressent. Les deux tours de bureaux Southlane Tower 1 et Efesto, de l’autre côté du croisement, sont déjà beaucoup plus réussies. Le « quartier des affaires » Square Mile sera peu à peu occupé, selon les vœux d’Agora, qui prévoit d’installer un parc entre ce quartier et le lycée Bel-Val, en fonction pour la deuxième année scolaire déjà, et à côté duquel le Fonds Belval projette de construire un centre sportif, pour lequel Paul Bretz vient de remporter le deuxième prix (aucun premier prix ayant été attribué par le jury en décembre dernier).
Au pied de ce nouveau quartier, autour de la Place de l’académie (qui longe les hauts-fourneaux sur leur flanc gauche), et dans l’avenue, la vie quotidienne s’affaire : des clients du shopping center sortent avec des sachets pleins de bonnes affaires acquises en soldes, les uns fuyant vers les parking, d’autres attendant dans le froid dans un abribus qui semble minuscule dans ce décor monumental que leur bus arrive. Des adolescents aussi surexcités que prépubères ravalent les escaliers au pas de course en provenance de la gare Belval-Usines pour rejoindre la file d’attente pour le concert de Cro à la Rockhal, qui se joue à guichets fermés, et ce dès 16 heures, par un froid glacial. Durant l’automne, des arbres ont été plantés sur le parvis, ce qui a eu comme effet immédiat d’y transformer l’ambiance et de la rendre plus accueillante.
En face, dans le bâtiment Masse noire, le Fonds Belval vient d’inaugurer une nouvelle exposition sur cette Cité des sciences qu’il a planifiée durant les dix années de son existence : Belval & more reprend la grande maquette avec les différents bâtiments en construction déjà exposée lors de la précédente exposition (voir d’Land 24/11). Mais elle offre aussi, à côté de petits films sur l’histoire du site, de la sidérurgie, de la ville et de la région, une animation en 3D de ce que sera cette cité d’ici 2017 ou 2018, lorsque les principaux bâtiments seront achevés : un vol d’oiseau à travers ses allées et sur ses places, entre les hauts-fourneaux et les maisons scientifiques, bruits de villes et images numériques de flâneurs et d’étudiants en sus. Tous les projets pour la première phase de cette cité sont désormais en route ; vendredi dernier, la première pierre pour la Maison de l’innovation, au centre des hauts-fourneaux, a encore été posée.
L’état d’avancement de l’Université du Luxembourg se constate le mieux en venant de l’autre côté, en arrivant sur le site en provenance du Rond-point Raemerich : là où on avait l’impression d’être dominé par le bâtiment de Claude Vasconi pour la Bil, on fonce désormais sur une véritable barre formée à gauche par l’impressionnante Maison du savoir de Baumschlager & Eberle (avec Christian Bauer) avec sa tour de 80 mètres de haut (dont le dernier étage sera achevé en janvier, si le temps le permet) et son porte-à-faux gigantesque ; en face, le gros œuvre de la Maison des sciences humaines (Tatiana Fabeck & Abscis) est presque achevé. Alors que les hauts-fourneaux sont flambant neufs après la rénovation de ce que le gouvernement a décidé de garder, les chantiers se concentrent désormais sur le centre de la parcelle, dans laquelle se construisent la Maison du nombre, la Maison du livre, la Maison des arts et des étudiants... L’incubateur d’entreprises, situé dans les anciens vestiaires, qui fut un des premiers entamés mais connut de nombreuses difficultés durant sa construction, est désormais fonctionnel, tout comme le Bâtiment biotechnologie, non prévu sur les plans initiaux, qui a pourtant été le plus rapide à construire et qui a pu ouvrir dès septembre 2011.
Si les travaux du Fonds Belval ont été suivis de près et avec beaucoup d’intérêt par les architectes et urbanistes autochtones et européens, c’est non seulement parce que la reconversion d’un ancien site industriel et la création d’une ville nouvelle est toujours un défi, mais aussi et surtout parce que les ambitions de l’établissement public présidé par Germain Dondelinger (du ministère de l’Enseignement supérieur) et dirigé par Alex Fixmer, faisant fonction de maître d’ouvrage pour le compte de l’État, furent toujours de miser sur la qualité aussi bien de la réflexion que de la construction. Les principaux bâtiments furent attribués sur base de concours architecturaux européens et suite à des briefings approfondis. Il est vrai aussi que l’argent y était : pour cette « priorité des priorités » que représente Belval pour le gouvernement, ce dernier était prêt à y mettre sur table les sommes nécessaires aussi, un milliard d’euros, ce n’est pas rien.
Mais l’histoire du Fonds n’est pas seulement couronnée de succès. Au contraire, mis à part les aléas imprévisibles pour tout maître d’ouvrage que sont les incidences du terrain et de la météo sur les chantiers, ainsi que les inévitables recours de participants aux appels d’offres qui se sentent lésés, il a même commencé avec un échec majeur : le premier concours, celui « international » pour les nouvelles Archives nationales, qui devaient se construire au pied de l’actuel bâtiment administratif, lancé en 2002 et attribué en 2003 à Paul Bretz, et pour lequel un projet de loi avait même été déposé, a été reporté sine die en 2006 pour raisons budgétaires et programmatiques. Son gabarit n’apparaît même plus sur les plans. Puis il y eut le deuxième grand échec : la suppression du projet de construction d’un Centre national de la culture industrielle (architecte : Tom Beiler), qui devait accompagner la rénovation des hauts-fourneaux, en 2009, également pour raisons économiques. On peut donc estimer que ce qui subsiste de la Cité des sciences est tout ce qui représente une valeur directement fonctionnelle et que certaines parties de ce qui devait initialement aussi avoir une visée culturelle ont été simplement remises aux calendes grecques.
Marianne Brausch
Kategorien: Architektur und Urbanismus
Ausgabe: 04.01.2013