La question du logement a été désignée par 87 pour cent des personnes interrogées dans un sondage diligenté par les initiateurs de la plate-forme 2030.lu comme le sujet devant revêtir la plus haute priorité politique au Luxembourg. Déjà en novembre 2009, dans une enquête Eurobaromètre1, les sondés de Luxembourg-Ville avaient répondu à la question : « Il est facile de trouver un logement de qualité à un prix raisonnable » à 88 pour cent par un avis négatif, plaçant Luxembourg-Ville en cinquième dernière position des 75 villes faisant l’objet du sondage. Le logement sera, à n’en pas douter, un enjeu de taille dans les élections nationales de 2014 : comment prendre en main la pénurie de logements au Luxembourg et l’inflation des prix qui en résulte ?
Il s’agit d’un problème national, certes, mais le problème du logement n'est nulle part plus perceptible qu’à Luxembourg-Ville, où la rareté de logements et la cherté de l’immobilier résidentiel sont extrêmes. Or, l’on observe dans le domaine de la politique du logement un impressionnant décalage entre le discours des responsables de la Ville de Luxembourg et la réalité de leurs décisions. Si la politique de création de logement en faveur, surtout, des jeunes ménages figurait comme priorité absolue dans les accords de coalition DP/Déi Gréng en 2005 et 2011, force est de constater que l’action politique est à la traîne.
À commencer par l’adoption d’un nouveau plan d’aménagement général (PAG) pour Luxembourg-Ville, qui devrait intervenir jusqu’au 8 août 20132. Un PAG est un masterplan censé définir l’urbanisation d’une ville sur un horizon de dix à quinze ans, en partant d’une situation urbanistique et démographique à un moment donné. Le deuxième PAG de la Ville, le plan Joly, fut adopté en 1991 sous la bourgmestre DP Lydie Polfer3. L’élaboration du nouveau PAG intervient après la modification, aux termes de longs débats très techniques, de la loi du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain. On se rappellera que certains acteurs, en premier lieu desquels les responsables de la Ville de Luxembourg, avaient argué de l’impraticabilité de la loi de 2004 et de la problématique des « quartiers existants » pour refuser de l’appliquer. Alors même que certaines communes (Steinfort, Schifflange, Junglinster) ont, elles, adopté de nouveaux PAG sous l’empire de la loi de 2004.
La loi de 2004 a été modifiée en juillet 2011 pour tenir compte de ces doléances. Depuis lors, on attend toujours avec impatience ce nouveau PAG dans une ville qui vient de dépasser le cap des 100 000 habitants et où l’on bricole toujours sur base du très dépassé Plan Joly de 1991. Ainsi, au lieu d’assumer le rôle de précurseur qui devrait naturellement être le sien, en tant que capitale, dans l’adoption d’un nouveau PAG donnant la priorité au logement, conformément aux accords de coalition, la Ville de Luxembourg traîne des pieds. Le processus d’adoption et de consultation annoncé par les responsables de la Ville en dit long aussi sur le décalage entre une autre promesse électorale – la démocratie participative – et la réalité sur le terrain.
Début février s’est tenue à Luxembourg une conférence publique avec le bourgmestre de la Ville de Luxembourg Xavier Bettel et le maire de Tübingen, Boris Palmer. Il y était notamment question de consultation des habitants de la ville lors de l’élaboration d’un nouveau PAG. Le bourgmestre a déclaré à cette occasion qu’il était d’avis qu’une consultation populaire large sur cette question n’était pas souhaitable4. Ce qui tranche nettement avec la démarche entreprise entre 2003 et 2005, où les habitants de la Ville de Luxembourg étaient invités à coopérer, dans un vrai processus consultatif, à définir des plans de développement de leur quartier. Les plans de quartier qui en résultaient – développés avec le bureau d’urbanisme Zilm – auraient pu être un excellent point de départ pour un nouveau PAG. Ils contenaient nombre d’idées innovantes, voulues et avalisées par les habitants des différents quartiers, et auraient donc eu le mérite d’une large acceptation par les résidents. En gros, la transposition de la démarche décrite par Boris Palmer : une consultation des habitants, avec une prise de décision revenant en fin de compte au conseil communal.
Mais le fruit de ces consultations a mystérieusement été mis aux oubliettes pour ne plus jamais ré-émerger. Au lendemain des élections de 2005, un autre bureau d’urbanisme, Zeyen et Baumann, a été chargé d’élaborer un nouveau projet d’aménagement général. Depuis lors, ni les membres du conseil communal, ni les membres des commissions consultatives de la Ville, ni évidemment ses habitants, n’ont plus entendu parler du nouveau PAG, qui est élaboré dans la plus parfaite opacité. Tandis que tout le monde attend le nouveau PAG, il nous revient que les autorités de la Ville bloquent nombre de nouveaux PAP « régime 1937 » prévoyant des logements, sous le simple prétexte « qu’on attendrait le nouveau PAG ». Mais le scandale c’est que, en attendant que ce PAG soit enfin adopté, ce sont des logements qui ne sont pas construits et qui font défaut sur un marché immobilier résidentiel où la forte demande fait grimper les prix.
On observe de même que les nouveaux PAP approuvés sur le territoire de la Ville prévoient des unités ayant en moyenne 100 mètres carrés de surface ce qui, même au tarif « pacte-logement » de 20 pour cent en dessous du prix moyen au mètre carré de l’Observatoire du logement, les rend inabordables au commun des mortels. Pour une politique du logement pour les jeunes ménages, on repassera.
Mentionnons encore la grande timidité des décideurs de la Ville de Luxembourg dans la mise en œuvre d’une taxe contre les logements vides, pourtant prévue dans la loi pacte-logement et adoptée dans les communes d’Esch-sur-Alzette et Beckerich, et prévue à Diekirch. Ici encore, après un premier effet d’annonce au printemps 2012, on préfère attendre l’élaboration d’un règlement-type par le ministère du Logement5. Et on entend déjà, au City Breakfast du 20 février 2013, le collège échevinal critiquer la taxe sur les logements vides adoptée à Esch-sur-Alzette (après seulement deux mois d’existence !) comme étant une mesure inefficace ! Histoire sans doute de préparer le terrain pour l’abandon pur et simple de la mesure.
Et ne parlons même pas de la très grande retenue dans la lutte contre la mésaffectation de logements en bureaux ou commerces – si la Ville a commencé sous le bourgmestre Paul Helminger à envoyer des mises en demeure aux propriétaires d’immeubles où une mésaffectation a été constatée, celles-ci sont rarement suivies d’effets. La police des bâtisses de la Ville est, depuis des décennies, un tigre édenté.
À qui profite cette bulle immobilière artificiellement gonflée par une politique de logement inexistante ? Aux propriétaires immobiliers, une partie importante du fonds de commerce électoral du DP, qui continuent ainsi à bénéficier de jolis rendements sur le territoire de la Ville de Luxembourg. Les citoyens de la Ville, eux, paient le prix fort de cette politique hypocrite.