À l’occasion de son traditionnel rendez-vous mensuel, le Trois CL accueillait ce lundi dans un premier temps, la jeune artiste pluridisciplinaire Valerie Reding pour l’exposition de sa série photos, Hungry entre queer, trash et féminisme et son projet chorégraphique m.a.d, une performance encore à l’état de work in progress. Dans la deuxième partie de la soirée, l’incontournable Jill Crovisier montrait plusieurs tableaux en construction de Jinjeon, l’un de ses derniers projets. Deux pièces encore en phase de recherche qui, malgré quelques faiblesses de part et d’autre, montrent déjà de belles ambitions et les signes de spectacles à succès.
D’abord, il est toujours agréable de vagabonder dans cette Banannefabrik, marquée par son passé d’ancien entrepôt à fruits et surtout nourrie par une histoire exceptionnelle en tant que centre culturel. Le lieu marque une exposition, et de fait ici, face aux photos de Valerie Reding accrochées dans le couloir avant les salles de spectacles, on ne peut que se convaincre de la force créatrice d’un espace d’art.
Si Hungry, la série en présence de l’artiste luxembourgeoise, montre parfaitement cette « tentative de déconstruire les stéréotypes de genre », comme précisé, ce qu’elle donne en plus c’est une vision élargie du prisme esthétique qui habite toute cette communauté d’artistes vivant là, au 3CL. Au-delà de ces sept portraits magnifiquement trash, se jouant des archétypes, avec grotesque, humour et incisive, ce que l’on voit, c’est une possibilité de création, une liberté infinie d’expression, à l’image de ce qu’est le 3 du Trois.
Suivant logiquement sa photographie, en déclinant des thématiques assez proches, dans m.a.d, Valerie Reding ouvre une sorte de cycle à l’esthétique queer, trash pop, subversif pour qui veut, explorant les névroses et troubles de ceux qui s’écartent de la norme. À deux, ce soir-là, Valerie Reding et Ivy Monteiro – coaché/es par Simone Mousset – montrent quelques éléments déjà construits d’une pièce pour quatre performeurs/ses, qui aura sa première en mai 2020.
Dans une atmosphère hypnotique, l’objet spectaculaire est lancé par un corps travaillant un geste minimal. Entre les matières plastiques, velcro, cuir qui embarque cette forme dans un drôle de trip SM, Reding se meut, tentant et travaillant, devant Monteiro aux « manettes » musicales expérimentales. Si l’entrée en matière est belle, on assiste ensuite à une cacophonie musicale et chorégraphique compliquée, infusée de violence et de colère. Pourtant, la performance évolue rapidement et de l’obscur, on plonge dans la beauté mirifique de l’intime pour finir par un monologue vocal et postural superbe et une chanson de la diva Monteiro.
Si l’ensemble est très personnel, on trouve une belle utilisation de l’espace, de nouvelles choses à « bequeter » et une belle prise de risque, celle qu’on attend de la part des interprètes logés au 3CL.
Jill Crovisier présentait ensuite un travail de recherche autour de sa future pièce Jineon. On y entend un questionnement sur la rapidité du progrès technologique et son incidence sur l’humain d’un point de vue psychique et physique. C’est une thématique que l’on reconnaît bien à Crovisier que de travailler sur l’angoisse d’un temps dévoré, des hommes perdus là-dedans, incapable de retrouver leurs existentialités face à un monde qui change trop rapidement et pas forcément dans le bon sens.
Outre dans les thématiques, c’est aussi dans le corps qu’on reconnaît « du » Jill Crovisier. Et dans le premier morceau que l’on nous donne à voir, c’est toute la virtuosité de la jeune chorégraphe et du danseur qu’on retient. Avec seulement huit jours de répétitions dans les pattes, le résultat est surprenant. William Cardoso enfile des patins à roulette pour exécuter les bribes d’un Boléro de Ravel, c’est fort, précis et presque parfait.
Ce qui nous est donné dans un deuxième temps est nettement moins convaincant. Si une certaine maîtrise des corps est bien là, que l’atmosphère musicale inspire l’ensemble est trop propret et ne nous décoche pas encore d’étoiles dans les yeux.
Quoi qu’il en soit, nous sommes face à des pistes de recherche, livrées en format tableau, un peu comme une audition grande école. Et si les directions sont encore multiples pour Crovisier, on garde de belles espérances nourries par ces premières recherches, et on voit clairement les lignes de perspectives d’une pièce qui s’annonce très convaincante.