Design City

Quand le design conquiert la capitale

d'Lëtzebuerger Land du 30.05.2014

Cette année, la troisième édition de la biennale Design City, organisée par le Mudam en collaboration avec la Ville de Luxembourg, met le focus sur le processus de production et sur les influences que des thèmes actuels comme la pollution de l’écosystème ou l’épuisement de ressources naturelles peuvent avoir sur le secteur du design. Placées sous le thème Into the Process : une remise en question sociétale des fonctions du design, les expositions, conférences et workshops de la biennale incitent à une réflexion sur la responsabilité des designers. En tant que maillon de la chaîne de la fabrication industrialisée des objets domestiques, le secteur des arts appliqués a sa part de responsabilité dans la consommation de matières premières. Une interrogation critique sur les procédés de fabrication et le choix des matériaux s’impose.

Conçue par la coordinatrice générale de Design City Anna Loporcaro et par le designer Bruno Carvalho, l’exposition Never for Money, Always for Love au Mudam regroupe le travail de treize designers originaires du Portugal et du Luxembourg (dans le pavillon Leir jusqu’au 15 juin). Ayant comme dénominateur commun la difficulté d’exercer de façon rentable leur métier dans leur pays, les designers portugais et luxembourgeois sont d’office contraints de déployer largement les richesses de leur imagination. Ana Rita António montre ainsi à quel point la réparation d’un table peut être ingénieuse et amusante (14 ways of replacing a table leg). La pièce intitulée Coco d’Anne-Marie Herckes parait tout aussi ludique : Herckes a formé un tapis mural en accumulant des dizaines de petites vestes identiques en tissu feutré. Le projet émouvant Autistic Language de Lynn Schammel est le fruit d’une collaboration avec Léa Goeders atteinte d’autisme et avec une styliste. Léa Goeders s’exprime au moyen de points peints qui, ensuite, sont utilisés pour réaliser le motif stylistique de vêtements. Le projet joue sur la répétition et sur la simplicité du langage visuel qui, justement à cause de cette réduction, acquiert une grande beauté et diversité. L’exposition au Mudam est accompagnée d’un cycle de conférences proposées aux non-initiés du design et de workshops pour enfants. Les 14 et 15 juin, l’édition 2014 du Marché des créateurs, très estimé, se tiendra dans le hall d’entrée du musée.

La seconde exposition phare de Design City se situe à ciel ouvert sur la Kinnekswiss dans le parc municipal et a pour fonction d’attirer l’attention sur l’intrication étroite entre le design et la ville. L’intervention dans cet espace public se limite à trois propositions, dont l’une sert à l’orientation dans le parc (Pile ou face du studio de design luxembourgeois Maurice + Paula). Des symboles au sol des sentiers traversant le parc indiquent aux déambulateurs la direction à prendre pour atteindre par exemple l’installation Overshoot de l’agence d’architecture parisienne Encore Heureux. Inspirée de la Schueberfouer, la grande structure en bois se remarque de loin. Des balançoires qui y sont suspendues à différentes hauteurs se veulent utilisables par quasi toute tranche d’âge. Le mot Overshoot fait référence au « jour du dépassement », c’est-à-dire le calcul théorique du jour d’épuisement des ressources naturelles renouvelables disponibles pour l’année. Ainsi, en 2013, ce jour aura correspondu au 20 août, signifiant que des ressources fossiles ont dues être utilisées pour plus d’un tiers de l’année.

Fondé sur une critique similaire, le projet du studio bruxellois Wakup constitue une tentative d’embellir l’apparence du parc caractérisée par une abondance de poubelles hideuses. Différents dispositifs servant de dissimuler ces poubelles ont été élaborés en collaboration avec les étudiants du Lycée technique des arts et métiers. Le recours qui a notamment été fait au miroir pour ces dispositifs, élément étranger à la structure habituelle d’un espace vert, relance l’interrogation sur le rôle et l’utilité du design dans un espace public en faisant disparaître la poubelle grâce au reflet de la nature. Il en est de même pour l’intervention progressive sur les palissades du chantier de la Cour des comptes, située place d’Armes. Les phrases rédigées par des élèves du Lycée Aline Mayrisch en tenant compte des contraintes graphiques et stylistiques imposées par quatre designers graphiques de Metz, sont apposées sur les palissades du chantier et viennent contrecarrer les messages de publicité ou les enseignes des boutiques qui définissent l’image de la ville.

Dans le cadre de Design City, le Forum da Vinci hébergea l’exposition itinérante Moving Materials (qui s’est terminée le 22 mai), qui a été montrée entre autres dans des musées comme le Red Dot à Essen. La réflexion sur les effets des produits design sur notre environnement se concentre ici sur le recours à de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques et sur les conséquences qui en découlent pour les formes des produits. Grâce à l’énergie solaire, le placard de Marjan van Aubel fonctionne en même temps comme chargeur de batteries. Les sacs à main (Changeables) crées par Eva Pannecoucke se composent d’éléments facilement démontables et réutilisables dans de nouveaux objets, évoquant l’idée de recyclage.

Aux Annexes Bourglinster, In progress était une exposition satellite de la biennale reliée au Mudam par un service de navettes durant les weekends (jusqu’au 18 mai). Elle regroupait des créations de design par de jeunes designers industriels, graphiques ou sociaux, d’infographistes et d’architectes en partenariat avec des institutions comme l’Université du Luxembourg. En mettant le focus sur le processus de création qui se trouve à l’origine du produit fini, les participants affichaient à côté de leurs produits – une table fonctionnant également en tant que chaise de Julie Conrad, un modèle 3D (Ham-Str) de Serge Ecker ou encore des meubles de Gilles Gardula – des informations explicatives sur l’évolution du produit. Le catalogue et l’app accompagnants l’exposition s’avèraient inventifs et captivants : l’application permit de découvrir une seconde piste de lecture du livre, révélant par exemple des images supplémentaires grâce au scan des illustrations.

En parallèle aux expositions principales, un certain nombre des magasins de meubles et de décoration offrent des petites expositions et des présentations de nouvelles pièces. Le week-end dernier, les plus curieux pouvaient visiter les ateliers de création de designers ou d’artistes comme Claudia Passeri, Mik Mulhen, Grid Design ou deFact Studio. Design City montre qu’il est possible d’aborder des questions et des thèmes graves, comme les problèmes écologiques, d’une manière intelligente, voire même ludique. Les projets présentés incitent le designer tout comme le consommateur à prendre conscience qu’il existe bien une manière alternative à celle octroyée par les grandes entreprises multinationales.

Le programme complet de Design City peut être consulté sous www.designcity.lu/2014.
Florence Thurmes
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