Les clients des compagnies d’assurances n’ont pas été épargnés par la fraude Madoff. Les voies pour récupérer leurs fonds engloutis se révèlent aussi méandreuses que pour les clients des banques. Pourtant, le monde de l’assurance apparaissait comme bien plus sûr que celui des banques, avec de meilleures garanties de recouvrement de l’argent investi dans des produits alternatifs. Cette croyance, largement entretenue par les assureurs eux-mêmes pour bien marquer leur différence d’avec les banquiers, a été anéantie.
Un client français de l’assureur-vie Lombard International Assurance, numéro un incontesté sur le marché en libre prestation de services, a saisi la justice dans l’espoir de forcer la compagnie à mettre la main au portefeuille. Une première décision du tribunal de commerce a jugé son assignation recevable et retenu sa qualité à agir en res-ponsabilité contre Lombard. Un premier pas vers la restitution ?
Le client avait souscrit deux contrats à prime unique auprès de Lombard, respectivement de 1,150 million d’euros (septembre 2006) et 550 000 euros (décembre 2006). Des sommes relativement modestes d’ailleurs par rapport à la moyenne des contrats dans des fonds dédiés que la compagnie à l’habitude de faire souscrire à ses fortunés clients, souvent supérieurs aux dix millions d’euros. Les contrats étaient liés à des fonds d’investissement dont Dexia était la banque dépositaire mais également le gestionnaire, deux fonctions d’ailleurs peu compatibles entre elles. Les « supports » financiers en question étaient en fait adossés à des fonds alternatifs Blue Star et Rafale Partners, que la société de Bernard Madoff « gérait » à sa manière. Après la découverte de sa fraude, les actifs furent réduits à zéro. La victime prétend n’avoir obtenu de Lombard aucune information que son argent était placé dans des fonds alternatifs. Pas plus qu’il n’a su que le financier américain était derrière le produit. Pourtant, une circulaire de 2008 du Commissariat aux assurances (circulaire 08/1) impose des formalités spéciales, une procédure de notification spécifique des clients et surtoutprévoit que les contrats adossés à des fonds alternatifs soient investis uniquement dans des fonds de pays de l’Espace éco-nomique européen ou de la zone A des pays de l’OCDE (les plus solides). C’était une condition que le Commissariat avait posée, il y a deux ans, pour rapprocher le monde de l’assurance de celui de la banque en leur octroyant les mêmes libertés de mouvement, permettant ainsi aux assureurs de ne pas « rater » le train de la finance dite alternative. Or, Rafale était domicilié dans les îles vierges britanniques et Blue Star rele-vait de la juridiction des îles Caïmans, pays où la régulation et la surveillance ne sont pas particulièrement regardantes. « Il y a donc vio-lation patente par l’assureur Lombard, relève l’assignation de l’investisseur français, (des) règles et obligations contractuelles puisqu’il opère un fonds d’investissement moyennant des produits qui lui sont interdits ».
Lombard a construit une grande partie de son succès auprès des investisseurs sur ce que ses dirigeants nommaient le « triangle de sécurité », s’appuyant sur le Commissariat aux assurances, le nom de Lombard et le principe de la banque dépositaire. Une triple garantie de sérieux qui a volé en éclats : les contrats avec le banquier dépositaire étaient inexistants sinon incomplets, voire antidatés, selon les accusations du client français, qui voit dans ses défaillances autant de raisons de prononcer la « résolution » de ses deux contrats, c’est-à-dire leur nullité, avec à la clef le remboursement des sommes investies.
La situation de l’investisseur est sans doute plus embrouillée qu’il ne l’a mentionnée dans son assignation. Les polices d’assurances, a soutenu Lombard pour sa défense, sont liées à des opérations de financement, dont un prêt contracté par le fils de l’investisseur auprès de Dexia. Les deux contrats servaient donc de gage à la banque, qui s’était également fait consentir en échange le droit de rachat des contrats. Ce pourquoi Lombard contestait la qualité à agir de l’investisseur français. Les juges ne se sont pas arrêtés à ce détail. « Dans la mesure où le demandeur se dit victime de fautes commises par la société Lombard, il a également qualité et intérêt pour agir en responsabilité contre elle », ont-ils tranché. Une pre-mière étape a été franchie, reste le plus gros morceau à juger, celui du remboursement des contrats. Une audience a été fixée pour cela en juillet prochain.