Le Mali est un des dix pays cibles de la coopération luxembourgeoise. Le grand-duché a signé un accord de partenariat avec la République sahélienne dès 1998 ; en 2010, la Coopération y a dépensé presque onze millions d’euros, principalement dans les secteurs de l’éducation et de la formation professionnelle, de la santé et de l’assainissement, de la sécurité alimentaire. Une des raisons de l’envergure de cette coopération est probablement la renommée que le Mali s’est construite depuis les années 1990: celle d’un pays politiquement stable où la démocratisation est en bonne voie. Le président Amadou Toumani Touré (ATT), démocratiquement élu en 2002, est un invité bienvenu dans les capitales européennes. Sa popularité vient largement de son passé. Militaire, il a été porté au pouvoir par la révolution du 26 mars 1991 mettant fin au régime sanglant du dictateur Moussa Traoré. Il s’est retiré ensuite pour permettre l’organisation d’élections démocratiques. Onze ans plus tard, il se fait élire en toute légitimité et aujour[-]d’hui que son deuxième mandat touche à sa fin, il s’apprête à partir. Attitude valeureuse dans une région du monde où la passation de pouvoir est trop souvent entachée d’irrégularités.
La résurgence du conflit armé dans le Nord du Mali depuis la fin de l’année 2011 a montré que sous l’apparence de stabilité politique guettaient des tensions latentes, risquant de déboucher sur une violence qui jettera le pays des années en arrière. Certains lajugeront surprenante ; pourtant, cette évolution n’était pas imprévisible. Depuis 2004, la dégradation de la situation sécuritaire dans le Nord de la République avait peu à peu entraîné la désertion des coopérants. Pendant quelques années, le grand-duché, bénéficiant apparemment de plus grandes assurances que d’autres, a été un des seuls pays à maintenir son projet de coopération à Kidal. Aujourd’hui, la Maison du Luxembourg, centre culturel et fleuron de la coopération luxembourgeoise dans le Nord, fonctionne au ralenti. Le tourisme, pilier du développement malien, est au point mort, le pays figurant sur la liste rouge (voyages formellement déconseillés) de la plupart des ministères des Affaires étrangères européens.
Visiblement, le président ATT n’aura pas réussi à venir à bout du spectre de la rébellion dans le Nord, épée de Damoclès du Mali depuis les années 1960. Le 17 janvier dernier, la rébellion touareg a en effet repris les hostilités sous le nom de Mouvement national de libération de l’Azawad1 (MNLA). Les accrochages entre l’armée malienne et le MNLA se multiplient. Les villes de Aguel’hoc, Léré, Tinzawaten, Kidal seraient encerclées, la région de Ménaka est sous le contrôle des rebelles qui viennent de prendre Goundam et la base de Tessalit, verrou stratégique. D’après le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), 99 000 réfugiés ont fui les combats et le nombre des déplacés internes s’élève à 93 000.
Les nouvelles parvenant du front sont contradictoires. Si le gouvernement malien parle, au sujet de la bataille d’Aguelhoc qui a causé de nombreux morts fin janvier, d’« atrocités com[-]mises par les forces du MNLA et les combattants d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique)» entre lesquelles les liens ne sont pas tout à fait établis, le MNLA accuse le gouvernementd’« un montage ridicule (...) les combattants du MNLA n’ont commis aucune exaction2 ». Le fait est que l’impact du conflit se répercute sur la population du pays entier en fais-ant monter à la surface des diver-gences qui furent longtemps limées par un discours officiel proclamant un Mali uni.
C’est l’attaque, le 1er février, de familles touaregs dans la ville garnison de Kati qui a déclenché une psychose générale parmi les habitants originaires du Nord et un exode spontané. Presque toutes les familles egs de Bamako, Ségou et Sikasso, malgré le fait qu’elles y habitent depuis des générations, sont parties vers les pays voisins. Si de nombreux hommes sont entretemps rentrés pour reprendre le travail, femmes et enfants restent en exil. Ils craignent des troubles ethniques tant que les combats dans le Nord se poursuivent et, pire, tant qu’une partie de la presse malienne se fait le canal de messages discriminatoires envers la population touareg, certains journalistes appelant ouvertement à la violence pendant que le gouvernement malien reste muet.
Les évènements actuels s’inscrivent dans la continuité de la rébellion trouvant son origine, dès 1963, dans la revendication d’indépendance de la population du Nord du Mali. Cette partie représente presque deux tiers de la superficie du pays ; la révolte est réprimandée violemment. Elle reprend en 1990, en pleine pénurie qui suit la sécheresse des années 1984/85. Les rebelles fustigent le manque d’investissement dans les trois régions du Nord (Tombouctou, Kidal, Gao), qui restent aujourd’hui encore les plus pauvres du pays. L’accord de paix finalement signé à Alger en 1992 demande une plus grande autonomie de ces régions, le développement de ses infrastructures et l’intégration de sa population dans l’appareil de l’État et les forces armées. Mais quatorze ans plus tard, en 2006, un nouveau mouvement contestataire se redéveloppe, mettant en avant l’application insatisfaisante de l’Accord.
Ce qui inquiète, c’est que le degré de la violence est aujourd’hui monté de plusieurs crans. La zone désertique du Nord, grande comme l’Allemagne, le Benelux, l’Italie et le Portugal réunis, difficile à contrôler, subit de plein fouet l’impact des évènements en Libye. Après la chute de Kadhafi, des centaines d’ex-combattants touaregs originaires de l’Azawad ont traversé le Sahel pour rentrer au Niger et au Mali, lourdement armés. Si le Niger a préparé leur arrivée pour les désarmer et les orienter en vue d’une réintégration sociale, le Mali a été pris de court. Certains des ex-combattants ont intégré les forces armées maliennes. D’autres se sont alliés aux groupements contestataires du MNLA. Ce manque d’anticipation a valu au président ATT le reproche de ne pas prendre assez au sérieux le « problème du Nord ». Fallait-il être visionnaire pour prévoir les conséquences du retour de cette diaspora sortant tout droit d’une guerre civile dans une zone laissée à une vague autonomie depuis une dizaine d’années ?
En effet, la bande sahélienne est sujette à des dynamiques politiques dangereuses. C’est sous le mandat du président ATT que s’y installent des groupements de l’AQMI, en même temps que reprennent les enlèvements de ressortissants de pays occidentaux. Ces kidnappings se produisent dans les pays limitrophes (Niger, Algérie), mais le lieu de la libération des otages est souvent le sol malien. C’est au moment des premiers enlèvements sur le territoire du Mali en 2009 qu’il devient manifeste que la région chavire vers un avenir où les anciennes alliances commencent à s’effriter, et où tout est désormais possible. L’envergure du trafic de tout genre pratiqué dans la région apparaît à la découverte de la carcasse d’un Boeing plein de drogue, baptisé « Air cocaïne » en 2009 dans la région de Gao, ou face au développement miraculeux de certains quartiers urbains avec des villas somptueuses et des 4x4 clinquant neufs. Des flots d’argent dont personne ne dit la provenance, faisant par ailleurs exploser le gouffre social dans une région des plus pauvres du monde, dans une impunité exemplaire.
Le président ATT, bon élève de l’Occident, est loin d’être vu du même œil dans les pays voisins qui l’accusent de laxisme. Ces critiques trouvent d’ailleurs désormais un écho dans la population malienne, où il est qualifié de « président complice ». S’il n’est pas évident en effet de savoir où ont été investies les importantes sommes d’argent destinées à lutter contre le terrorisme dans le Nord reçues par le gouvernement, il apparaît qu’elles n’ont pas été utilisées de manière efficace. Pour justifier sa passivité, le président ATT déplore le manque de réactivité des pays voisins, notamment de l’Algérie, face à un problème régional.
Une passivité qui risque de coûter très cher au Mali, encore une fois. Dans un contexte régional de vent de liberté et d’autodétermination, le MNLA jouit d’un très fort soutien au sein de la population du Nord et dispose de quelques arguments musclés pour revendiquer une indépendance que le gouvernement malien rejette toujours aussi fermement, mais qui pourrait être plus difficile que jamais à négocier. De toute évidence, ce ne sera pas le président ATT qui devra s’occuper des conséquences – il a déclaré que les élections allaient avoir lieu comme prévu le 29 avril et que de toutes les façons, il était « déjà parti ». La suite ? Le présent montre déjà que, à défaut de débat structurant et d’une action gouvernementale cohérente, le danger est celui d’une démocratie de façade qui ne fait que reporter les problèmes.