Les réseaux sociaux ont souvent été cités comme un des facteurs facilitateurs des révolutions qui agitent le monde arabe. Twitter et Facebook ont assurément joué un rôle non négligeable dans les mouvements populaires qui ont terrassé les régimes tunisien et égyptien. Il est donc certain qu’en tant que plateformes globales, ces réseaux favorisent la liberté d’expression, en permettant aux habitants de pays dictatoriaux d’exprimer leur ras-le-bol et de s’organiser, le tout sous les yeux attentifs de l’opinion mondiale.
Toutefois, lorsqu’un groupe Facebook a commencé à appeler les Palestiniens à lancer une troisième Intifada, c’est une autre dynamique qui s’est enclenchée et qui a poussé cette semaine la direction du réseau à fermer le groupe. Certes, première différence, sa cible était l’occupant israélien, contre qui la page invitait à prendre les armes le 15 mai après les prières du vendredi, et non la direction palestinienne. La page a attiré 350 000 fans. Après que, deuxième différence, des commentaires ouvertement antisémites s’y sont multipliés, le gouvernement israélien et des associations juives dont les Bnéi Brit, ou Anti Defamation League (ADL), ont protesté et exigé que Facebook censure la page.
Dans un premier temps, Facebook a refusé au nom de la liberté d’expression. « Bien que certains types de commentaires et de contenus puissent causer de l’irritation – des critiques contre une culture, un pays, une religion, un mode de vie ou une idéologie politique donnés par exemple – cela en lui-même n’est pas suffisant pour retirer une discussion », a d’abord fait valoir Facebook, ajoutant : « nous croyons profondément que les utilisateurs de Facebook ont la faculté d’exprimer leurs opinions, et en règle générale nous ne retirons pas de contenus, de groupes ou de pages qui se prononcent contre des pays, des religions, des entités politiques ou des idées ».
Ce mardi, Facebook, dont le CEO Mark Zuckerberg s’est trouvé directement interpellé par le ministre israélien Youri Edelstein, a changé d’avis, expliquant comme suit sa volte-face : « En régle générale, nous ne retirons pas de contenus qui attaquent des pays, des religions, des entités politiques ou des idées. Toutefois, nous surveillons des pages sur lesquelles on attire notre attention et lorsqu’elles dégénèrent en des appels directs à la violence ou en des expressions de haine – comme cela s’est passé dans ce cas – nous les avons retirés et continuerons de le faire ».
Les commentaires litigieux, qui appelaient à tuer tous les Juifs et à libérer Jérusalem par la violence, étaient-ils une raison suffisante pour censurer la page ? La décision de Facebook est loin de faire l’unanimité. De nouvelles pages appelant à une troisième Intifada ont aussitôt fait leur apparition sur le réseau social, à titre de rappel sur les limites intrinsèques de toute censure. Toutefois, elles n’ont attiré que quelques centaines d’amateurs pour l’instant.
Facebook, bien que basé aux États-Unis, n’est pas soumis directement au premier amendement à la Constitution américaine qui érige la liberté d’expression en droit fondamental. La législation devrait-elle être modifiée pour que cela soit le cas et que les grands groupes opérant sur Internet y soient formellement soumis ? Comment Facebook, qui se voit de plus en plus souvent entraîné au cœur de grands mouvements et conflits sociaux à l’échelle du globe, peut-il se prémunir contre ceux qui se servent de ses pages pour promouvoir la haine et la violence sans pour autant utiliser avec trop de légèreté les ciseaux d’Anastasie? Après tout, sur un grand portail tel que Yahoo, les commentaires haineux sont légion et restent souvent en ligne. L’hésitation initiale de la direction de Facebook et sa volte-face témoignent de la difficulté de ce débat. Plutôt que d’y voir une faiblesse, mieux vaut l’interprêter comme une indication que rien ne doit être figé dans cet exercice d’équilibre entre liberté d’expression et répression des discours de haine.