Cccccchut ! On ne communique plus sur la question de l’accès au droit de vote des étrangers aux communales. Le Cefis (Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales), qui suit le sujet scientifiquement depuis 1999, s’est vu interdire de communiquer par son ministère de tutelle jusqu’à la publication de son étude complète, d’ici le printemps prochain. Donc jusqu’à ce que les élections communales soient déjà largement oubliées. Il renvoie poliment vers l’Olai, l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration, dépendant du ministère de la Famille, qui donne tout aussi poliment quelques chiffres généraux sur l’inscription des non-Luxembourgeois sur les listes d’électeurs jusqu’à la date butoir du 14 juillet : ils sont 34 638 à s’être inscrits, soit 22,8 pour cent des étrangers qui sont en droit de le faire (après cinq années de résidence). C’est une évolution de 5,8 points de pour cent ou de 3 701 personnes par rapport à la dernière échéance, de 2011. Assez pour qu’officiellement, on affiche un satisfecit : les campagnes colorées du gouvernement et des associations conventionnées, comme « je veux voter », ont bien fonctionné, plus d’électeurs se sont inscrits, donc tout va bien, on n’en parle plus.
Or, dans le détail, le résultat est moins glorieux, car sur les six dernières années, la population luxembourgeoise a augmenté de presque 80 000 personnes – et cette augmentation est surtout due à la migration. Jusqu’en octobre 2016, à huit mois de la date limite pour s’inscrire, le taux avait chuté par rapport à 2011, à 16,3 pour cent, notamment suite aux nombreuses naturalisations (4 000 par an), pour ensuite augmenter grâce aux campagnes et aux débats publics essayant de motiver les résidents non-Luxembourgeois à s’inscrire. Ils étaient 9 137 personnes à le faire en ces huit mois. On dispose en outre de chiffres sur les nationalités de ceux qui se sont nouvellement inscrits : 13 000 Portugais, 5 000 Français, 3 000 Italiens et Belges, 2 000 Allemands... Mais « on reste sur notre faim », note Sérgio Ferreira, porte-parole de l’Asti, qui n’a pas participé à la campagne institutionnelle, mais tenté de sensibiliser les gens par ses réseaux classiques. En tout, il y aura 284 577 électeurs le 8 octobre, soit moins de la moitié, 48 pour cent, de la population totale (mineurs compris). Donc, à nouveau, une minorité décide sur la majorité. Ce qui est particulièrement flagrant à Luxembourg-Ville, 115 449 habitants, dont 82 012 non-Luxembourgeois. Les nationaux y sont à moins de trente pour cent. En tout, 34 396 personnes y iront voter aux communales, dont 6 569 non-Luxembourgeois. On n’est plus loin du vote censitaire du XIXe siècle. À Esch-sur-Alzette, 34 732 habitants, il y a 14 068 électeurs, dont 2 257 non-Luxembourgeois ; à Differdange, on compte 2 148 électeurs non-Luxembourgeois sur un électorat total de 11 113 personnes. À Larochette, la commune avec, proportionnellement, la plus grande population portugaise, 228 non-Luxembourgeois participeront aux élections (sur une population étrangère de 1 265 personnes en tout). La « peur du bourgmestre portugais de Larochette » avait été une des grandes réticences des politiques autochtones face à l’introduction du droit de vote aux non-Luxembourgeois, pourtant imposée par le traité de Maastricht de 1992.
Les ONGs, qui fréquentent au quotidien les étrangers, voient beaucoup de freins à la participation politique des non-Luxembourgeois à la vie démocratique : un dégoût généralisé de la politique ; les nombreuses contraintes pour les étrangers comme la clause de résidence de cinq ans ; des employés communaux pas forcément encourageants, ou le fait qu’il faille s’inscrire six mois avant les élections, alors même que la campagne électorale ne commence véritablement qu’à la rentrée. Certains craignent aussi de devoir voter par la suite, car une fois inscrit, le non-Luxembourgeois aura les mêmes obligations que le Luxembourgeois. Il sera obligé de participer à toutes les élections communales, tous les six ans. Mais, cette fois, et plusieurs experts ainsi que des témoignages personnels recueillis pour cet article, le confirment, beaucoup de non-Luxembourgeois étaient démotivés de s’impliquer davantage, se sentant offensés par le rejet massif des électeurs de leur accorder le droit de vote aux législatives, lors du référendum de juin 2015 (78,02 pour cent de non). « Il y en a beaucoup qui nous disaient : ‘vous ne voulez pas de nous ? Vous voulez seulement notre force de travail et nos impôts ? Alors c’est ce que je vais faire’… » raconte Sérgio Ferreira. Après la claque du référendum, le gouvernement avait promis de tirer des leçons des résultats, de faire une analyse poussée des raisons de ce rejet. Or, rien, n’a été fait depuis, à part le vote de la nouvelle loi sur la nationalité, en début d’année. La naturalisation est désormais prônée comme la voie royale vers l’accès aux droits démocratiques.
On a aussi voulu savoir ce qu’il en était des candidats non-Luxembourgeois, à quel point les partis se sont sentis concernés et ont motivé des candidats étrangers à se présenter avec eux, à quel point ils sont conscients de l’importance que la diversité de la population se reflète aussi dans leurs listes. Le résultat est mitigé, certains partis affichant même leur volonté de ne pas communiquer sur la nationalité de leurs candidats en renvoyant vers le nombre élevé de naturalisations. Selon les chiffres recueillis par le Land auprès des partis, en pourcentage, Déi Lénk sont ceux avec le taux le plus élevé de candidats non-Luxembourgeois, vingt pour cent, suivis des Verts, onze pour cent, du LSAP, 10,91 pour cent, puis du DP, 9,28 pour cent, et, en queue de peloton, le CSV, 4,2 pour cent1. En chiffres absolus, ce sont les socialistes qui mènent la danse, avec 61 candidats étrangers (sur 559 candidats à travers le pays pour les communales), DP : 52 (sur 560) Verts : 52 (sur 466) ; Déi Lénk : 29 (sur 145) et le CSV 25 (sur 600 candidats).
Face à l’agressivité nationaliste d’une partie des opposants au droit de vote pour les législatives en 2015, face aussi à leur nombre écrasant (presque 80 pour cent), on n’entend plus guère de politique fustiger le déficit démocratique que représente le fait que 48 pour cent de la population soient, en principe, exclus de la prise de décision. Si on était pour une égalité radicale, la seule solution serait d’inscrire d’office les non-Luxembourgeois sur les listes à 18 ans, comme c’est le cas pour les nationaux, et de leur appliquer la même obligation de voter. L’Asti vient de demander un avis à un juriste pour en sonder la faisabilité, surtout la conformité avec les critères de l’accord de Maastricht. Ou alors de libérer les autochtones du vote obligatoire – ce qui aurait probablement comme conséquence des taux d’abstention proches de ceux dans nos pays voisins. Car les partis ont beau se surpasser en inaugurations d’écoles et d’autres infrastructures en période préélectorale : le restant de l’année, tout se passe comme si les vraies décisions étaient prises derrière des portes closes par des experts administratifs et des consultants et investisseurs privés.