Centre national de la recherche archéologique

Un patrimoine riche caché sous nos pieds

d'Lëtzebuerger Land vom 23.03.2012

d’Lëtzebuerger Land : Avant la création du CNRA, le département archéologique était rattaché au Musée national d’histoire et d’art. Quelles sont les grandes différences (au niveau des missions, de la structure, du financement), entre cet ancien département d’archéologie et le nouveau centre ?

Foni Le Brun : Avant tout, à l’image du trait d’union qui les unit, MNHA et CNRA demeurent complémentaires. Le MNHA œuvre sur les collections internes, tandis que les activités de gestion administrative et les travaux de recherche du CNRA couvrent l’ensemble du territoire. Le CNRA, quant à lui, n’est pas seulement une administration d’archéologie territoriale, il est avant tout un Centre de recherche dont les travaux font progresser nos connaissances sur les modes de vie de nos ancêtres. Dans cette perspective, le CNRA définit des programmes de recherche pour chaque époque chronologique. Il faut savoir que les fouilles ne constituent souvent qu’un tiers du temps de recherche. Il faut ensuite traiter et exploiter en laboratoire les données collectées et méthodiquement enregistrées, puis publier et présenter les résultats scientifiques.

L’une des missions du centre est de dresser un inventaire du patrimoine archéologique national. Comment procédez-vous à ce recensement ? Y a-t-il des priorités et comment s’opère le classement des sites ?

C’est le service de la carte archéologique, avec un seul agent en poste, qui est chargé d’élaborer l’inventaire du patrimoine archéologique national. Dans cette optique, une base de données couplée à un GIS (Geographic Information System) est en cours de saisie. Cet inventaire numérique, qui couvre les 106 communes luxembourgeoises, intègre d’une part le recensement de l’existant, à savoir sites et vestiges mentionnés par d’anciennes archives constituées depuis le XIXe siècle. D’autre part, cet inventaire est lié à une cartographie indiquant les zones de potentialités archéologiques (nulle, faible, moyenne, haute). À partir des informations archéologiques géo-référencées, le CNRA espère à moyen terme proposer un outil cartographique informatisé d’aide à la décision consultable par les divers aménageurs tant publics que privés.

Le nouveau centre a-t-il des domaines et des axes de recherche qui sont prioritaires ?

Au-delà des projets de recherche menés par chaque service, il est nécessaire, en premier lieu, que le CNRA ait une meilleure visibilité auprès de tous les acteurs du secteur « aménagement » et de la recherche. Dans cette perspective, le jeune CNRA est en train d’élaborer un site Internet et une brochure décrivant ses services et ses missions. Dans un même temps, nous prenons des contacts personnalisés pour expliquer qui nous sommes, ce que nous faisons, pourquoi, comment et pour qui.

Parallèlement, le CNRA souhaite poursuivre les contacts interministériels, ainsi que les échanges avec les instituts de recherche, comme par exemple l’Université du Luxembourg. Des passerelles entre théorie et pratique concernant les métiers du patrimoine sont proposées, ainsi que le tutorat de plusieurs doctorants. Il est important de préparer la prochaine génération d’archéologues. De plus, contrairement à ce qui s’est passé dans nombre de pays étrangers à la fin du XXe siècle, le CNRA souhaite veiller à ce que la professionnalisation de l’archéologie ne la coupe pas du bénévolat et des sociétés savantes locales et régionales. Le CNRA souhaite densifier les contacts et les échanges avec les milieux associatifs.

Quelles sont les ambitions du centre ?

Par ses activités, notamment en développant une archéologie moderne dite « préventive », le CNRA espère faire prendre conscience au plus grand nombre de la fragilité et de l’importance de notre patrimoine archéologique à respecter au même titre que le patrimoine naturel, impliquant la nécessité de documenter et étudier scientifiquement tout vestige menacé de destruction. Il faut sensibiliser et faire comprendre au public que cette ressource est fragile et non renouvelable. Une récente publication intitulée Patrimoine historique et culturel en forêts luxembourgeoises réalisée par l’Administration de la nature et des forêts en partenariat avec le MNHA-CNRA s’inscrit dans cette démarche responsable et durable vis-à-vis des générations futures. En d’autres termes, le CNRA, en suscitant de nouvelles vocations de chercheurs, souhaite assurer un meilleur avenir à notre passé.

Et quels sont les problèmes qu’il rencontre ?

Sur le plan du personnel, le CNRA manque crucialement d’agents qualifiés pour gérer le patrimoine archéologique sur l’ensemble du territoire. Comme le prévoit la loi du 25 juin 2004, il faudrait au minimum pouvoir doubler l’effectif existant composé de douze agents, dont un tiers de femmes. Sur le plan législatif, il serait bienvenu de disposer de textes juridiques modernes adaptés à une archéologie moderne. Élaboré il y a près de dix ans, le projet de loi 4715, portant sur la protection du patrimoine culturel et archéologique, est à refondre avec les recommandations du Conseil d’État. Par ailleurs, la convention européenne de Malte du 16 janvier 1992 pour la protection du patrimoine archéologique serait à ratifier, le droit de propriété des vestiges archéologiques à repenser, ainsi que certains amendements à des lois portant sur l’aménagement du territoire afin que le patrimoine archéologique soit intégré comme ressource à considérer.

Comment le centre est-il financé ? Dans certaines institutions culturelles, l’administration doit faire face à une restriction du budget, suite à la crise financière. Le centre ressent-il également des répercussions de ce genre ?

Le CNRA bénéficie d’une dotation de l’État qu’il gère avec le service comptable du MNHA. Comme c’est le cas pour nombre d’administrations, les budgets de fonctionnement ont diminué de près d’un tiers. Toutefois, l’enveloppe destinée à l’archéologie est restée stable. Le CNRA, lors de ses réunions hebdomadaires, essaie de répartir au mieux le budget entre les différents services, près d’une vingtaine de fouilles archéologiques étant réalisées annuellement.

De plus, le CNRA encourage les aménageurs privés à prendre en charge le coût des campagnes de sondages diagnostics afin de libérer au plus vite les terrains de la contrainte archéologique, comme cela fut le cas à Gasperich ou en ce moment à Dudelange. Parallèlement à cette manne, le CNRA, comme tout institut de recherche public luxembourgeois, peut soumettre des demandes de subside auprès du FNR (Fonds national de la recherche) pour le financement de projets de recherche.

Le nouveau centre permet-il d’ouvrir de nouvelles perspectives à l’archéologie au Luxembourg ?

Oui, c’est d’ailleurs la cause première qui a motivé la décision politique de créer le CNRA. Avec sa création, c’est la reconnaissance de la diversification des nouvelles activités extra-muros relatives à l’archéologie territoriale, désormais du ressort du CNRA, par rapport aux activités muséales traditionnelles intra-muros du MNHA. La création du CNRA permet, d’une part, d’entreprendre des recherches archéologiques dans les règles de l’art suite aux évolutions technologiques appliquées à cette discipline scientifique, et, d’autre part, de développer une archéologie moderne dite « préventive », qui améliore la qualité de dialogue entre aménageurs et archéologues. La consultation du CNRA dès en amont des procédures (par exemple : demande d’autorisation à bâtir, PAP et PAG des communes) permet de concilier au mieux les intérêts des différents acteurs en intervenant préventivement avec la réalisation de sondages diagnostics donnant lieu ou non à des fouilles, interventions achevées avant les phases chantiers, en aval, dont les arrêts entraînent des surcoûts financiers.

Quelles mesures le CNRA prend-il pour promouvoir la recherche et diffuser et valoriser les résultats des fouilles et des analyses ?

Au-delà des colloques, conférences, publications scientifiques et grand public, le CNRA élabore des courts-métrages sur l’archéologie luxembourgeoise à destination des scolaires. Trois petits films sont actuellement projetés dans l’exposition Sous nos pieds au MNHA sous forme de documentaires scientifiques ludiques en images de synthèse 3D. Il est important de montrer une archéologie vivante, du geste, pour faire revivre nos sites archéologiques, en complément de l’image statique véhiculée par les vitrines muséales.

Serait-il pensable qu’un jour le centre dispose de son propre musée pour pouvoir exposer le patrimoine archéologique et ses résultats de recherche ?

Personnellement, je ne serai pas favorable à cette orientation du CNRA. La compétence muséale est, et demeure, du ressort du MNHA. Il est vrai que les actuels conservateurs du CNRA doivent assurer aussi la gestion des collections nationales qui sont présentées au MNHA. L’exposition Sous nos pieds / Unter unseren Füßen réalisée par les agents du CNRA et du MNHA illustre parfaitement cette complémentarité entre CNRA et MNHA, du terrain à la vitrine. Cette exposition rétrospective donne un aperçu des principales découvertes archéologiques de ces quinze dernières années. J’encourage le public à découvrir les coulisses modernes de cette passionnante science du passé. En paraphrasant : Mir wëlle wësse wien mir sinn.

Florence Thurmes
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