Mono 2012

« L’identité contemporaine d’un territoire »

d'Lëtzebuerger Land vom 23.03.2012

Malgré son élévation, en 2007, au rang de Capitale européenne de la culture, notre « Grande Région » est loin de constituer une évidence, même sur son propre territoire. Le simple fait qu’il paraisse indispensable, quand on s’y réfère, de redessiner ses contours démontre assez le caractère artificiel de cette entité et marque bien la distance qui nous sépare encore de son inscription pérenne dans les mentalités.

Petite leçon de rattrapage pour les nuls : on appelle désormais « eurorégion » un groupement européen de coopération territoriale comprenant deux ou plusieurs régions de plusieurs pays voisins. En l’occurrence, notre Grande Région comprend, outre la totalité du grand-duché, la Wallonie belge, les départements français de Moselle et Meurthe-et-Moselle, ainsi que deux Länder allemands (la Sarre et la Rhénanie-Palatinat). Si personne ne peut désapprouver, après des siècles de voisinage plus ou moins hostiles, l’objectif généreux qu’elle se fixe, à savoir la coopération politique, économique et culturelle entre les différents partenaires, force est de constater que le montage en demeure extrêmement fragile. La barrière linguistique, les particularismes socio-culturels, les habitudes de consommation locale ou, simplement, une certaine paresse casanière constituent autant d’obstacles que seule une offre renouvelée de projets communs revêtant un éclat particulier peut espérer abattre.

Mais, sur le plan de la coopération culturelle, notamment, il serait utopique d’attendre des pouvoirs publics qu’ils prennent la tête de tels projets. En ces temps de crise économique, les États et les Régions ont d’autres chats à fouetter. La balle est donc, presque exclusivement, dans le camp des acteurs culturels, et, surtout, des plus importants d’entre eux, conscients de ce que leur isolement au sein des provinces constitue un obstacle à la visibilité internationale à laquelle ils peuvent légitimement prétendre. Aussi remarquable qu’apparaisse l’édification récente de certains équipements, il s’agit pour eux de défendre une réputation qu’une mondialisation sans merci soumet à rude épreuve. Or, l’union fait la force, c’est bien connu. La Grande Région serait, ainsi, la formule magique qui permettrait de concurrencer l’offre des grandes métropoles internationales.

On ne saurait, bien sûr, attendre une telle hauteur de vue de toutes les structures qui émaillent le territoire et qui constituent, à des degrés divers, sa véritable richesse. Mais il suffit, au fond, que quelques-unes d’entre elles, les plus grandes, prennent l’initiative d’entraîner les autres dans un élan collectif. A priori, les arts plastiques semblent bien placés pour mettre en place ce type de projets en réseaux. En effet, le succès toujours croissant des grandes expositions montre qu’un vaste public d’amateurs n’hésite plus, désormais, à voyager pour alimenter sa soif artistique, d’autant que les pèlerinages culturels auxquels ils s’adonnent offrent souvent des à-côtés touristiques tout à fait plaisants. Aussi, aurait-on tort de prendre à la légère ce qu’un projet artistique commun est susceptible d’apporter à tout un territoire ; il y va, aussi bien que d’intérêts culturels, d’intérêts économiques qui sont loin d’être négligeables. Aux politiques de le comprendre, de suivre et de soutenir, y compris financièrement, le mouvement. Parallèlement, et sur un autre plan, c’est d’un enjeu symbolique qu’il s’agit, et d’une identité collective en gestation, ainsi que l’exprime la note d’intention du projet Mono que cet avant-propos ambitionne d’introduire : « Au carrefour des grands axes de communication européens Nord-Sud et Est-Ouest, [les] institutions dédiées à l’art moderne et contemporain entendent contribuer à la mise en avant de cette situation géographique privilégiée dans le domaine culturel en continuant à affirmer le dynamisme et la réalité d’un réseau – l’identité contemporaine d’un territoire. »

Dernier entré en lice, et avec le succès que l’on sait, le Centre Pompidou-Metz se devait de donner le signal. L’idée de créer un événement collectif se déroulant durant l’été 2012 revient à son directeur, Laurent Le Bon, qui en confia bientôt la charge à Élodie Stroeken. La coordinatrice du projet nous en précise la portée : « Il s’agissait de mettre en place un mode de collaboration ouvrant l’accès à une série de manifestations, en se fondant sur l’accord le moins contraignant possible. Pour participer à Mono, deux conditions devaient être remplies. La première, présenter de l’art moderne et contemporain, car il s’agit, manifestement, d’un atout majeur de notre Grande Région, ainsi qu’en attestent les temps forts de ces dernières années, tels l’ouverture du Casino Luxembourg (1996), la tenue de Manifesta 2 à Luxembourg (1998), l’implantation du Frac Lorraine (2004), l’ouverture du Mudam (2006) et celle du Centre Pompidou-Metz (2010). La seconde, opérer sous forme de monographies. De cette dernière exigence découle le titre de la manifestation : Mono. Cette formule n’induit pas vraiment une thématique, c’est plutôt un prétexte qui autorise la plus grande liberté de programmation dans le respect du style de chaque partenaire. Mono est une proposition destinée à un public ciblé du côté des populations locales, ce sera une sorte de puzzle aux couleurs variées dans un créneau nettement identifiable. »

À l’appel, lancé il y a presque deux ans, a répondu une quinzaine d’institutions, proposant 19 expositions. Aux espaces clairement identifiés que sont le Centre Pompidou-Metz (présentant un impressionnant rassemblement de Wall Paintings de l’Américain conceptuel Sol LeWitt), le Mudam (avec une programmation entièrement féminine : Sanja Ivekovic – rappelez-vous sa Lady Rosa of Luxembourg en 2001 –, Emily Bates, Filipa César, Sarah Sze), le Casino Luxembourg (sculptures et installations du Belge Wesley Meuris), le Frac Lorraine (avec l’Américain Doug Wheeler, pionnier du mouvement Light and Space) et le Musée de la Sarre (la plus grande rétrospective, à ce jour, de Roland Fischer, enfant du pays ayant acquis une renommée internationale), viennent s’ajouter une pléiade d’institutions plus confidentielles qui, tel le Centre d’art de Delme (exposition de l’artiste mexicain Erick Beltran), le Centre national de l’audiovisuel de Dudelange (photographies de Raphaël Dallaporta), la galerie Faux-Mouvement de Metz (exposition du poète-plasticien beat John Giorno), la Galerie de l’École des Beaux-Arts de Sarrebruck (le photographe Otto Steinert, appréhendé à travers le regard de ses élèves), la Städtische Galerie de Neukirchen (nouvelles productions de Peter Schlör), le Saarländisches Künstlerhaus de Sarrebruck (Gregor Hildebrandt) ou le Museum Schloss Fellenberg de Merzig (paysages d’August Sander). Autant de lieux qui ne demandent qu’à être découverts, ou redécouverts.

Nul doute, par ailleurs, qu’une exposition Ben Vautier, au château de Malbrouck, bénéficiant de l’attrait particulier de son cadre médiéval, n’ait les capacités d’attirer le « grand public », de même que le site de la Weltkulturerbe Völklinger Hütte, présentant les visions fantomatiques de l’artiste Nicolas Dhervillers sur le site même (classé au patrimoine mondial de l’Unesco) où ses photographies ont été prises. Difficile de tisser plus intimement l’art et le territoire, tout en jouant de contrastes poignants et de surprises amusantes.

On notera que, si le grand-duché est largement représenté, avec le Mudam (quatre monographies à lui seul !), le Casino Luxembourg, le CNA et le Centre d’art Nei Liicht de Dudelange (projet Dakota Gate, de Carine et Élisabeth Krecké), la Belgique brille par son absence, ce qui a un peu pour effet de ramener notre fameuse eurorégion aux limites d’un SarLorLux antédiluvien. C’est que, selon Enrico Lunghi, directeur du Mudam, « la manifestation met en place des parcours, des itinéraires, et que ceux-ci doivent être limités en kilomètres ; il faut se résoudre à faire la différence entre la Grande Région politique et la grande région telle que vécue : Charleroi et Mons sont plus proches de Lille que de Luxembourg et il manque, de toute évidence, une institution dans la province du Luxembourg belge ».

La déception, en effet, viendrait de ce que les visiteurs se contentent de rester sur leurs sites et n’aient pas le courage d’aller voir ce qui se passe chez les voisins. Pour briser les inhibitions, des « événements » sont prévus, à commencer par l’ouverture, en grande pompe, de la manifestation, les 1er (à Luxembourg), 2 (à Metz) et 3 (à Sarrebruck) juin. Après quoi, l’accès du public aux différents sites sera facilité par la mise en place d’un passeport individuel donnant droit à des entrées à tarif réduit pour les sites payants et, surtout, à des navettes (sur réservation) proposant, chaque samedi, à partir de l’un des trois sites principaux, des parcours spécifiques, alliant visites guidées d’expositions et pauses-pique-niques conviviales. On attend avec impatience le développement du site internet et la parution des documents de communication fédérateurs pour avoir plus de précisions sur les modalités pratiques.

Mono, situé chronologiquement avant l’ouverture de la treizième édition de la Documenta de Kassel et de la foire d’art contemporain internationale de Bâle (Art Basel) ambitionne clairement de constituer une nouvelle proposition culturelle particulièrement forte sur le territoire (grand)régional. Si l’invitation s’adresse, prioritairement aux habitants de son territoire, il est clair que ses instigateurs ne verraient pas d’un mauvais œil se développer l’intérêt d’un public plus large, celui des touristes qui, de moins en moins rebutés par les préjugés qui entachèrent longtemps des contrées profondément marquées par la guerre, l’industrie et les crises économiques qui les ont frappées, découvrent chaque année, à la faveur d’un voyage en TGV, le charme discret de l’Europe rhénane.

Mono, du 1er juin au 9 septembre ; renseignements (à venir) sous : www.mono2012.eu.
Olivier Goetz
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