Belle pagaille au Parlement européen ! La tentative de corruption d’une soixantaine d’eurodéputés, initiée par des journalistes du Sunday Times et qui a fonctionné pour au moins trois d’entre eux, y provoque de gros remous. D’abord, au sein des états majors politiques qui tentent de détecter, avant que la presse ne s’en fasse l’écho, quels sont ceux de leurs membres qui auraient pu aussi tomber dans le panneau. Ensuite, au sein de l’institution, qui essaie de mettre en place des gardes-fous pour redorer son blason bien terni par cette affaire dite du « cash contre des lois ».
Retour sur image. Des journalistes du Sunday time ont dévoilé le 20 mars les noms de trois députés qui ont accepté, vidéo à l’appui, de monnayer l’introduction d’amendements pré-rédigés en faveur du secteur bancaire à deux directives (directives 94/19/EC et 2009/14/EC), visant en fait à protéger les petits épargnants et ce contre une rémunération confortable de consultant (jusqu’à 100 000 euros par an). Comme il s’agit de flagrant délit, l’immunité dont bénéficie tout parlementaire n’est pas valable.
Ce qui a amplifié l’affaire, c’est que sont visées des personnalités en vue au Parlement : Zoran Thaler, ancien ministre slovène des Affaires étrangères (socialiste), Ernst Strasser, ex-ministre autrichien de l’Intérieur (conservateur) et Adrian Severin, ancien ministre roumain des Affaires étrangères (socialiste). Les deux premiers ont démissionné de leur poste de députés et le troisième, qui a été exclu du groupe des socialistes et démocrates, résiste encore. Le président du Parlement, Jerry Buzek, l’a enjoint de suivre l’exemple des deux autres députés impliqués dans le scandale. Un quatrième nom a été révélé le 28 mars, celui de l’Espagnol du Parti populaire Pablo Zalba, qui admet avoir introduit un amendement parce qu’il le trouvait judicieux, mais nie avoir été rémunéré pour celà.
Cependant, aucun ne reconnait la faute. « Mon comportement était conforme à la loi », a assuré Thaler, qui pourtant aurait demandé que l’argent soit versé via une société londonienne pour plus de discrétion. Idem pour Strasser, qui a fait passer le projet d’amendement via des collègues d’une commission parlementaire et demandé un versement de 25 000 euros sur le compte d’une société qu’il détient en Autriche. Severin proteste aussi de son innocence et soutient qu’en vertu du règlement du Parlement, les députés « ont le droit de travailler comme consultants politiques ».
Non, rétorque certains de ses collègues au premier desquels Martin Schulz, le chef du groupe des socialistes et démocrates. « Notre travail consiste à défendre les intérêts de nos électeurs, et pas de faire de l’argent en aidant les firmes de lobbying, (…), cette activité de conseil est incompatible avec notre fonction de député ». Claude Turmes (groupe des Verts) va même plus loin : « Être député, dit-il, est un full time job, bien payé de surcroit, nous devons nous y consacrer pleinement. Je suis pour une interdiction totale de double emploi ou double mandat politique ».
Jusqu’à présent, les députés se sont opposés à toute restriction de leurs activités et à tout code de conduite éthique, comme celui qui est imposé aux commissaires. Le président Buzek estime qu’il faut tirer les leçons de ce scandale de corruption. Il a ouvert une enquête interne pour faire toute la lumière sur ces faits, ordonné que des scellés soient posés sur les bureaux des députés suspectés et renvoyé dans les cordes l’Office européen anti fraude (OLAF), qui s’était pourtant déclaré compétent. Il veut appliquer une « tolérance zéro » à la corruption et s’est prononcé pour un renforcement du code de conduite avec les « peines plus lourdes », tout en demandant à son service juridique de préciser ce qui était possible. Il a demandé à chaque gouvernement chargé des procédures anti-fraude d’être informé de l’avancée des enquêtes. Cependant, ces enquêtes nationales pourraient bien être interrompues si la loi estime irrecevable les tentatives de corruption, comme en France. Se pose aussi la question de la déontologie des journalistes qui s’érigent en juges et piègent les politiques en se faisant passer pour ce qu’ils ne sont pas. Eux risquent aussi des poursuites.
Selon Andy Rowell, porte-parole d’Alter-EU, une ONG qui prône la transparence du lobbying, « cela devait arriver. Les responsables politiques à Bruxelles développent des relations bien trop confortables avec les lobbyistes ». Il semblerait que cette technique des amendements livrés clef en main par des lobbies soit assez généralisée : en effet plusieurs députés dont certains travaillent pour des cabinets juridiques auraient reconnus lors d’une enquête publiée le 18 mars par Reuters qu’ils avaient recouru à ce procédé permettant de ne pas dénaturer le volet technique d’une mise au point recherchée par ces amendements pointus. Ce que corrobore une enquête interne à la commission des affaires économiques du Parlement sur les similitudes des amendements déposés par certains députés de pays différents et de sensibilités différentes et ceux du lobby de l’industrie des produits dérivés.
Mais il semble que les choses ne sont pas prêtes de changer, car Hubert Pirker, qui est pressenti pour remplacer Strasser, est un ancien député 1996 à 2004 et de 2006 à 2009, devenu lobbyiste pour un cabinet de conseil offrant, dixit le site de ce dernier, à ses clients et prospects ses « réseaux et [son] expérience de négociation et de lobbying auprès des institutions européennes et internationales ».