Sur Facebook, la « Galerie Beim Engel » (à l’angle de la rue de la Loge et du Bredewee dans la vieille ville de Luxembourg) est annoncée officiellement fermée depuis le 1er septembre 2019. Dans l’année qui a précédé, on a pu y voir, sous le titre générique Intro, des expositions collectives autour de différents médias : dessin, sculpture, photo, graphisme et même mode ou packaging. Le ministère de la Culture, après des années de tâtonnement où la Konschthaus était ouverte (gratuitement et depuis 1982) à qui le demandait sans travail curatorial de sélection, avait un temps repris la main avant de jeter l’éponge ne pouvant pas « fournir l’accompagnement nécessaire aux artistes » (Sam Tanson, d’Land, 17.05.2019).
Il a ainsi été décidé que le Casino Luxembourg aurait la charge de faire vivre cet espace, avec une mission plus spécifique vers les (très) jeunes artistes, ceux qui sont encore dans des écoles d’art ou en sortent tout juste. « Cela deviendra une étape pour les jeunes, dans le cheminement de leur carrière, avant le Casino ou le Mudam », disait encore la ministre de la Culture à l’époque. Un budget de 168 000 euros lui a été alloué pour 2020 – en espérant le voir reconduit au moins au même niveau pour l’année prochaine.
Première étape pour parvenir à faire revivre le lieu : restaurer, sécuriser, clarifier les espaces. L’ensemble est constitué de constructions de différentes époques, remontant au moyen-âge, et a subi, au fil des ans, des ajouts plus ou moins bricolés et plus ou moins réussis. Le travail, mené par l’architecte d’intérieur Nathalie Jacoby avec le Service des sites et monuments nationaux, permet de rendre l’ensemble plus cohérent, plus lisible, plus neutre, tout en respectant les constructions anciennes et la structure du lieu. Uniformisation des sols, intégration de cimaises, élévation des faux-plafonds et… création d’un logement. Cela n’a pas été sans mal, dans le contexte historique du bâtiment, d’obtenir les autorisations nécessaires, mais c’est désormais acquis. Car le projet que mène le Casino Luxembourg s’articule principalement autour d’une résidence d’artiste. « Un artiste associé s’installera ici pendant six mois et aura le lieu à sa disposition. À lui de se l’approprier pour en faire une plateforme de recherche, d’échange et de création », résume Christine Walentiny, en charge du projet. Un premier artiste a été choisi, sans appel ni jury, mais parce qu’il a présenté un projet. S’étant déjà fait une place comme DJ et musicien sous le nom de Cleveland, Andrea Mancini s’est formé à l’ERG à Bruxelles et travaille comme graphiste et designer indépendant. Il bénéficiera de cette première résidence pour mener son projet pendant la première partie de 2021.
Des résidences d’artistes, le Casino Luxembourg en a déjà organisé, et de nombreuses. Pendant cinq ans, à partir de 2010, dix artistes ont bénéficié de l’« Aquarium » pour produire et exposer une œuvre. Par la suite, des artistes en résidence ont travaillé dans l’espace public, se confrontant directement au contexte urbain et… aux chantiers de la capitale. Si la plupart des réalisations étaient plutôt réussies, la contrainte du lieu et du temps pour produire une œuvre a remis en question le modèle de ce type de résidence. « Pour cette nouvelle résidence, nous n’imposons pas de résultat, nous n’obligeons pas à produire des œuvres et à les exposer », souligne la responsable. Pendant la durée de la résidence, les galeries d’exposition seront utilisées comme espaces d’atelier, espaces qui pourront être ouverts ponctuellement pour des visites notamment par des écoles et lycées. Deux professeurs détachés sont à l’œuvre pour collaborer avec les enseignants, notamment des sections artistiques, mais pas seulement.
Parallèlement à la résidence, des écoles d’art de la Grande région seront invitées et, dans la mesure du possible, associées aux projets de l’artiste. Constatant l’absence d’études supérieures en art plastique, le Casino Luxembourg a noué des partenariats avec quatre écoles (École supérieure d’art de Lorraine, Metz/Épinal, École nationale supérieure d’art et de design à Nancy, la Haute École des arts du Rhin à Strasbourg et Mulhouse, Hochschule der Bildenden Künste Saar à Sarrebruck.). « Il est possible que nous en ajoutions d’autres, peut-être en Belgique, mais le travail que nous menons avec ces écoles doit pouvoir être profond et dans la durée », estime Christine Walentiny. Nadina Faljic, jeune curatrice formée à l’Université de Sarrebruck, sera d’ailleurs associée à l’équipe du Casino Luxembourg pour repérer les plus prometteurs des étudiants et leur offrir un espace d’exposition.
Initialement prévue pour le printemps 2020 avec la Triennale Jeune création, l’ouverture du Casino Display – c’est le nouveau nom choisi, même si tout le monde dit encore « Beim Engel » - a été reculée, pandémie oblige, à février 2021. Pour ne pas attendre cette date et « envoyer un signal positif » aux artistes comme au public, une première exposition a été présentée dans le cadre des Journées européennes du patrimoine. Clin d’œil aux messages que les enfants italiens collaient à leurs carreaux pendant le confinement, la brève exposition rassemblant des jeunes issus des écoles partenaires s’intitulait Andrà tutto bene (« Tout ira bien ») et était visible depuis l’extérieur, dans les fenêtres. Des dessins au fusain et à la pierre noire sur une toile évoquant un linceul de Marceau Pensato, les très sensibles vaisselles en cire qui fondent doucement de Mahé Cabel, un verre feuilleté qui se fissure sous son propre poids de Manon Nicolay et la projection toute simple mais vibrante d’Anna Coulet, indiquaient, le temps d’un week-end que quelque chose allait changer au coin de la rue de la Loge.
Pour asseoir le lien avec les écoles et lycées, le Casino organise aussi display.ed, une sorte de foire de l’étudiant, focalisée sur les métiers créatifs et culturels qui sont généralement mal connus et peu considérés dans les rencontres estudiantines classiques. Des écoles d’art, de design et d’architecture du Luxembourg et de la Grande Région y présentent leurs formations et des ateliers sont proposés pour faire découvrir différentes facettes de ces métiers. Une première édition s’est tenue en février dernier, attirant pas loin de 600 élèves, et l’expérience sera réitérée dans quelques mois. De la documentation restera à disposition des jeunes sur place.
Rechercher les jeunes talents qui seront les pointures de demain, offrir un espace de recherche, créer une plateforme d’échange, les mission du nouvel espace sont nombreuses. S’il réussit à se forger une identité et attirer un public spécifique, il se peut que le Casino Display devienne plus vivant et plus intéressant que le Casino lui-même.