Entouré de comportement architectural et constructif dérangé ? Oui, nous le sommes tous, nous le sommes en permanence. Tellement que nous ne nous en rendons pas compte, pas en permanence, pas tous. Quelques photos suffiront à mettre en évidence à quel point ceci est vrai. Quelques photos qui feront fonction de miroir sans l’être, feront fonction de déjà-vu sans être vraies. La Fondation de l’architecture et de l’ingénierie (FAI) héberge à l’occasion du Mois européen de la photographie (Emop) quelques clichés qui enverront la pensée du visiteur ailleurs. Suivant qu’il soit plus ou moins averti, plus ou moins amateur, plus ou moins promeneur-contemplateur de notre urbanité agitée, perturbée et troublée… mine de rien. Et c’est ainsi que l’exposition se nomme et s’explique : distURBANCES – Urban Utopia & Distopia.
Dès l’entrée, Virginie Mallard aspire avec Sex Shop, School, Bank et le délicieux Department of Justice – qui a eu le tact inconcevable, grâce au double face qui s’était laissé aller, de tomber comme pour dire « down with the biggest disturbance » de la Ville, et avec le procès qui en fait depuis un moment le comble de la dystopie, de notre toujours et encore inimaginable Cité judiciaire, réelle et vraie, bien qu’invraisemblable. Mais plus que cela, Virginie Mallard éveille chez le visiteur le besoin urgent de tirer le rideau à sa droite afin de contempler l’impeccable Rough as Silk de The Plug, fixé à durée indéterminée, espérons-le, à la façade principale du Carré Rotondes, juste en face. À ce moment-là, les neuf clichés regroupés en carré de Niklas Goldbach seront passé inaperçus, trop architecture et trop peu disturbed, tout comme ses huit clichés du vis-à-vis ne suffiront pas à l’appétit du visiteur en quête d’une perturbation urbaine mise à nue par la photo. Ils auront tout au plus souligné la force de la série Vice City de Thibault Brunet (exposée au Ratskeller). Restera alors son installation Hochhaus dont certaines prises rappelleront la série de Jeremy Harris The architecture of abandoned american asylums (qui n’est pas exposée au Emop), alors que les dialogues frôlent tantôt une émission matinale de SWR3, tantôt Gerhard Polt tout en restant terriblement familier et pratiquement quotidien par leur contenu. L’habitué de la FAI sera ennuyé sinon déçu du travail de Daniel Leiddenfrost, auquel il préférera Neufundland de Paul Horn & Lotte Lyon (exposée au Ratskeller). Le Ratskeller qui, on aurait envie de dire, avec Fake and Virtual Worlds héberge Urban Utopia & Distopia BIS : des ambiances qui terrifient autant qu’elles mettent en évidence à quel point elles sont ridicules et obsolètes (Reiner Riedler : Fake Holidays), brutales et lugubres (Cédric Delsaux : Dark Lens), désertes et austères (Thibault Brunet) tout en étant absolument familières et intrinsèques à notre société et à notre conscience collective car produites et entretenues par elle.
Continuation de la visite à la FAI : Frédéric Delangle retiendra le regard et surprendra par le titre No Life Last Night, malgré les vaches et cette non-vie nocturne qui pourtant transmet tellement plus de vie qu’une nuit luxembourgeoise (mis à part la veille de Nationalfeierdag et la Blues’n Jazz Rallye), quelle « enorme Exotik » – pour en finir avec Polt. Puis, enfin ! Bien évidemment on sait qu’elle est là, on l’a vue depuis l’entrée, on a fait exprès de prendre le temps de l’approcher, à travers les autres œuvres, de l’apprivoiser : Comercial Santo Amaro de Dionisio Gonzalez, cent kilo de générosité et de richesse, brillante, luisante, délirante ! Le trouble de suite quitte la photo et investit la pensée : C’est bien? C’est fou ? Ce serait génial ? Chez nous ? Plutôt là ? Gentrification! pfff… Non mais, c’est réel ou pas ? Ça se construit au coin de la route d’Esch, non ? Ou ça y ressemble ? Un banc, mieux encore, un hamac manque à cet endroit précis de l’expo. Une fois de plus l’on se rappelle de Carré rotondes et de sa commande faite à Xavier Delory dans le cadre de la triennale jeune création 2013 Gentrification & Barre d’îlot toujours accroché vis-à-vis du bar, on ira voir. Puis en sortant, en prenant la rue de Strasbourg on sera étonné, voire amusé de découvrir que des créatifs locaux soient allés au-delà et ont réalisé des versions certes plus modestes mais à l’échelle un sur un de ces montages aux numéros 89 de la rue de Strasbourg, au 27 de l’avenue du Bois, ou au 24 de la Guillaume Schneider… Une fois sorti de distURBANCES – Urban Utopia & Distopia nous revoilà entourés d’une utopie urbaine plus dystopique que l’autre. Toutes dystopiques mais toutes réelles.