Plafonnement : les aides au réemploi ne devraient plus dépasser 2 000 euros à l’avenir, soit l’équivalent d’un salaire social minimum pour travailleur qualifié. Ces aides n’ont de limites actuellement que celles de ne pas excéder 350 pour cent du salaire social minimum et il n’est pas rare de ce fait que l’État luxembourgeois mette jusqu’à 4 000 euros par mois, voire davantage, de rallonge pour compenser pendant quatre ans le manque à gagner d’un chômeur acceptant de prendre un emploi moins bien payé que le précédent qu’il a perdu. Le ministre du Travail Nicolas Schmit, LSAP, présentera « dans les semaines qui viennent » aux partenaires sociaux un avant-projet de règlement grand-ducal devant en modifier les conditions d’octroi et surtout empêcher les abus. Le plafond de 2 000 euros est l’une des pistes qui se dégagent de ses propositions non encore publiques. Une autre proposition serait de restreindre le coup de pouce public pour que le montant de l’aide ne dépasse jamais le niveau de salaire proposé par le nouvel employeur.
Comme tout le monde tient au maintien du système qui remonte à 1994 et qui a coûté 40 millions d’euros en 2010 et un peu plus en 2011 pour à peu près 5 000 bébéficiaires, à commencer par le Premier ministre et les grandes centrales syndicales qui n’ont jamais mis en doute son utilité alors qu’aucune évaluation n’a été réalisée en termes d’efficacité, la nécessité de sa refonte n’est pas un sujet de discussion, les déviations étant devenues bien trop voyantes depuis l’intervention de la Cour des comptes, en juin 2011, ainsi que les innombrables arbitrages faits par les juridictions administratives, pour conserver le mécanisme en l’état. « Il ne faut pas croire, explique-t-on dans l’entourage du ministre du Travail, qu’il s’agit d’un abandon du système des aides au réemploi ou que nous voulions accorder moins d’aides aux bénéficiaires. Nos propositions visent seulement à faire cesser les abus ». Pas de stigmatisation donc, mais un recadrage qui ne peut faire que consensus.
Rien n’est plus explicite pour décrire les méandres dans lesquels les aides au réemploi se sont engouffrées depuis que le « filon » a été découvert par des chefs d’entreprise peu regardants que de se pencher sur les litiges tranchés à la pelle par les juridictions administratives au cours des deux dernières années. Leur saisine a au moins le mérite de lever le voile sur le dévoiement du système. Au-delà de la publicité de ces affaires et l’émotion que les abus récurrents soulèvent, l’intervention des juges a au moins permis de recadrer ce mécanisme censé œuvrer en faveur de l’emploi. Les juridictions ont mis fin, en juillet 2011 seulement, à l’une des « combines » les plus utilisées par les usurpateurs des aides au réemploi : la création d’une société à responsabilité limitée (sàrl) dans laquelle le bénéficiaire des aides limite sa participation au seuil de 25 pour cent (à partir duquel le code de la Sécurité sociale accorde un statut de salarié à un travailleur), mais dont il est le titulaire de l’autorisation d’établissement, le solde des actions étant détenu par un proche, souvent l’épouse, un frère ou une mère. Grâce à cette parade, des centaines de salariés ont pu ainsi constituer leur entreprise, réduite dans de nombreux cas à un seul salarié, et se faire en grande partie rémunérer par le Fonds de l’emploi pendant quatre ans, le temps du démarrage des affaires. Inutile de gloser sur la déloyauté du procédé par rapport à d’autres entrepreneurs plus scrupuleux du droit. Le filon des aides au réemploi se révèle nettement plus avantageux par exemple que les aides à la création d’entreprise pour les chômeurs de longue durée, les premières s’étendant sur une période de quatre ans avec des montants presque sans limites, tandis que les secondes ne compensent que les périodes d’indemnisation auxquelles le récipiendaire aurait eu droit s’il avait continué à pointer à l’Adem.
La Cour administrative vient de trancher le cas d’un « faux indépendant » ou « gérant salarié » en renvoyant son affaire devant l’Adem, parce que l’administration ne l’avait pas informé au préalable de son intention de lui faire rembourser les aides indûment touchées et surtout ne lui avait pas donné la chance de se défendre. Il y a peu de chance toutefois que le bénéficiaire échappe au remboursement de 50 000 euros correspondant au montant que le Fonds de l’emploi lui a payé pour un nouveau job de conseil comptable et fiscal dans une société dont il était le gérant technique et son frère l’associé unique. Un montage typique pour détourner l’aide publique. Son cas, jugé en première instance le 12 juillet 2011, a eu le mérite de donner un coup d’arrêt aux déviations des aides au réemploi, les juges ayant tracé ici la ligne jaune pour dire qu’un certificat d’affiliation à la sécurité sociale était insuffisant à prouver le lien de subordination du prétendu salarié avec des dirigeants chimériques portant des faux nez pour les seuls besoins de la manne aux subventions à l’emploi.
La fraude s’était étendue à tous les domaines : fiduciaires, agences immobilières, entreprises artisanales, État (une anomalie qui avait d’ailleurs été révélée par la Cour des comptes) et même associations sans but lucratif bidons se faisant par exemple subventionner l’embauche de « managing director » qui en étaient les fondateurs, vice-présidents et même trésoriers. Dans un cas tranché le 14 février dernier par le Tribunal administratif, un « faux indépendant » (gérant technique) a même été jusqu’à réclamer l’arbitrage de la Cour constitutionnelle pour examiner le traitement prétendument discriminatoire qui lui avait été réservé par l’Adem par rapport à l’un de ses co-associés, qui lui, touchait – tout aussi indûment d’ailleurs – l’aide au réemploi. Renseignement pris par les juges, le second dirigeant a dû à son tour rembourser les aides.
Les investigations de la Cour des comptes avaient permis de mettre le doigt sur d’autres aberrations des aides au réemploi, notamment les nombreux cas de subventions à charge du Fonds de l’emploi deux à trois fois plus importantes que le salaire lui-même versé par l’employeur, son niveau ne dépassant pas parfois le salaire social minimum. À l’État ainsi de couvrir le manque à gagner pour des chômeurs aux CV particulièrement musclés et prêts à se faire embaucher à bon compte pour le nouveau patron, gagnant à tous les étages.
Si les décisions des juridictions administratives ces derniers mois ont permis de mieux ajuster les aides aux besoins du marché du travail, reste que la Cour des comptes avait rappelé, dans son rapport de juin 2011 sur les mesures d’aides aux chômeurs, les limites déjà inscrites dans le dispositif mis en place par règlement grand-ducal en 1994. Les gardiens de l’orthodoxie budgétaire avaient ainsi mis en exergue les conditions d’allocation fondées sur des critères « socialement équitables et adaptés aux exigences du marché ». Limites que tout le monde semblait d’ailleurs avoir perdu de vue. L’une d’elle est le caractère discrétionnaire de l’aide au réemploi, le règlement grand-ducal précisant bien qu’elle « peut être attribuée », sans qu’il s’agisse d’une obligation pour l’administration. L’autre limite est le plafonnement du dispositif à 350 pour cent du salaire social minimum (et 90 pour cent maximum du dernier salaire), certains cas limites exhumés lors de contrôle des bénéficiaires faisant état de niveaux de salaires atteignant plus de 11 000 euros par mois. Il semble d’ailleurs que ce rafraîchissement des textes légaux ait eu depuis lors une influence sur l’octroi de cette mesure, dsormais plus sélectif.
On revient toutefois de loin. Que dire en effet du cas particulièrement grossier de cette femme de ménage qui s’était fait licencier par l’entreprise de son fils et réembaucher par une société dans laquelle on retrouvait le fiston qui lui avait fait une fiche de salaire à 10 000 euros par mois. On lui refusa évidemment l’octroi de l’aide au réemploi, mais ce fut laborieux. Que penser encore des demandeurs d’aide employés par des entreprises ayant un siège social correspondant à leur adresse privée ou de ces autres candidats aux subventions qui disaient devoir partager leur temps de travail de leur nouveau job entre le Luxembourg et les Seychelles ?
Même s’ils sont devenus plus sélectifs, les arbitrages se révèlent parfois difficiles à faire par les agents de l’Adem pour trier le bon grain de l’ivraie et déjouer les montages juridiques de plus en plus astucieux, surtout si les nouveaux employeurs sont des sociétés anonymes où il est, ici, difficile de remonter la piste des actionnaires pouvant se dissimuler derrière ces structures lorsque le capital est représenté par des actions au porteur.
« Il n’existe pratiquement plus d’abus, car nous avons désormais un feeling des différents montages », assure-t-on à l’Adem. Les cas litigieux ont d’ailleurs montré que les demandeurs pouvaient aussi être des victimes de patrons indélicats les mettant sous pression en leur faisant des offres salariales totalement inadéquates par rapport à leurs qualifications et leur CV, en comptant sur l’aide de l’État pour assurer le complément de rémunération.
La question est aussi de savoir pourquoi on en est arrivé à de telles dérives du système et si l’Adem n’a pas contribué elle-même à sa perversion. La ligne de défense des personnes qui se sont vues exclure de l’aide au réemploi ou demander le remboursement des subventions est toujours la même devant les juridictions administratives : elles auraient été encouragées à en demander l’octroi par les agents eux-mêmes de l’Administration du développement de l’emploi. Assertions mollement récusées par l’entourage du ministre du Travail : si pareilles suggestions ont pu émarger dans les bureaux du chômage, laisse-t-on entendre, elles n’ont pu l’être que par les conseillers externes qui sont parfois appelés à donner un coup de main aux fonctionnaires de l’Adem et qui sont eux-mêmes issus du secteur privé. Ils ont plutôt bon dos.